Le groupe Bembeya Jazz a vu le jour en 1961 dans la petite ville de Beyla, au sud-est de la Guinée. Ce pays d’Afrique de l’Ouest est aussi connu sous le nom de Guinée-Conakry (du nom de sa capitale), pour la différencier des deux autres Guinée, Bissau et Équatoriale. Le Bembeya Jazz a été la fierté nationale de ce petit État en forme de croissant, qui a obtenu son indépendance de la France en 1958. Son premier président, Sékou Touré, mettra en place une politique culturelle volontariste et idéologique, se réclamant des traditions de la culture mandingue, une des principales ethnies du pays, aussi présentes dans plusieurs autres pays d’Afrique de l’Ouest. Cette politique dite d’authenticité devait aider à définir l’identité nationale du nouveau pays, qui était en rupture, voire en conflit, avec son passé colonial. Le Bembeya Jazz s’est avéré l’instrument parfait pour mener à bien cet objectif.

Bembeya Jazz s’appelait à sa fondation l’Orchestre de Beyla. Il s’est ensuite renommé Bembeya Jazz, en référence à la rivière qui traverse sa ville d’origine. Dès ses premiers concerts, le groupe a attiré l’attention de chasseurs de talent du gouvernement, et une de ses pièces s’est retrouvée sur une compilation intitulée « Sons nouveaux d’une nation nouvelle ». La formation a gagné quelques concours dans les années suivantes, et s’est même produite à Cuba en 1965, devant Fidel Castro. Ce triomphe dans un pays ami, la Guinée étant alignée sur le bloc communiste, ouvre la voie à une reconnaissance officielle. Ce sera fait en 1966, alors que le Bembeya Jazz deviendra le Bembeya Jazz National; les deux appellations sont utilisées aujourd’hui.

En écoutant les chansons qu’a produites le groupe au cours de son âge d’or, qui s’étend du milieu des années 1960 au milieu des années 70, on comprend pourquoi le Bembeya est considéré comme le meilleur orchestre de l’histoire de la Guinée, sinon de toute l’Afrique de l’Ouest. Sa musique est cependant difficilement disponible en version physique. Heureusement, on peut la trouver facilement en version numérique.

Quatre albums en particulier valent le détour. Le plus complet – mais le plus dispendieux – s’appelle « The Syliphone Years », qui regroupe 26 très bonnes chansons. L’opus de la collection « African Classics » est aussi très bon, mais plus court avec neuf pièces, et ne contient pas nécessairement tous leurs classiques. Datant de 1969, « Regard sur le passé » est un éclairant album-concept qui est en fait un hommage au chef de guerre anti-colonial Samory Touré, fondateur de l’empire Wassoulou et arrière-grand-père de Sékou Touré. Le meilleur album – au rapport qualité-prix – est certainement « Hommage à Demba Camara ». Les 14 pièces de ce disque offrent un formidable tour d’horizon de la superbe musique de ce groupe.
Voici d’ailleurs 10 pièces de cet album, en plus d’autres qu’on retrouve sur l’un ou l’autre des albums ci-haut mentionnés.

La musique du groupe est totalement électrique. Elle accomplit une fusion de la musique traditionnelle et moderne en reprenant des mélodies traditionnelles, mais en les arrangeant dans un style très différent. Exit la kora, le ngoni, etc. On retrouve plutôt des guitares électriques, une batterie, des percussions et une section de cuivres. L’esprit de la musique traditionnelle est véhiculée par les guitares électriques, aux sonorités mandingues. Pour leur part, les cuivres trahissent l’influence de la rumba congolaise, elle-même inspirée par le jazz cubain. Le jazz cubain est justement né en majeure partie des esclaves africains, et le Bembeya le refait à la sauce ouest-africaine.

Les interactions entre cuivres et guitares sont brillantes et astucieuses (Moussogbé). Le Bembeya compte sur l’un des meilleurs guitaristes africains en Sékou « Diamond Fingers » Diabaté. Sa manière de mélanger rythme, mélodie et harmonie est unique et franchement époustouflante (Beni Baralé). Son jeu de guitare atteint des sommets sur le grand classique du groupe, l’accrocheuse et envoûtante Armée guinéenne. Son jeu en arpèges est également exceptionnel sur la superbe N’Borin. Diabaté nous montre aussi sa très bonne technique à la guitare slide sur Alla Laké.

Diabaté est par ailleurs flanqué d’un excellent chanteur, Aboubabacar Demba Camara, aussi fondateur du groupe, mais décédé tragiquement dans un accident de la route en 1973. Sur les irrésistibles Dagna et Ballaké, il est à son meilleur, livrant de superbes performances. Les sonorités sont riches et luxuriantes, avec le mini-Big Band et les choristes du Bembeya Jazz (Fatoumata). Le groupe possède une réelle capacité de captiver et d’accrocher, notamment sur les excellentes N’Watoi M’Barale et La Guinée.

Bembeya Jazz National

La musique du Bembeya Jazz s’est donc inscrite dans une époque unique, soit celle des premières années de l’indépendance africaine. L’atmosphère grisante de cette nouvelle ère imprègne sa musique d’une effervescence et d’une énergie incomparables. Contrairement aux projets politiques et aux leaders qui les ont définis, qui ont mal vieilli et se sont souvent mal terminés, la musique du Bembeya Jazz est toujours vivante et pertinente, intemporelle et immortelle.

Le groupe a difficilement survécu à la mort de Camara, mais pas à celle de Sékou Touré, en 1984. Le groupe s’est finalement réuni à la fin des années 90, et se produisait encore en spectacle il y a quelques années. Un documentaire a même été réalisé à propos de la formation guinéenne. Sur les traces du Bembeya Jazz est sorti en 2007 et a marqué une certaine consécration pour le groupe, qui s’apprêtait à fêter ses 50 ans. Le Bembeya attire toujours de nouveaux publics, et continuera de le faire longtemps!

Bembeya Jazz Hommage à Demba Camara
BEMBEYA JAZZ
Hommage à Demba Camara
(Syllart Productions, 1996)

-Genre : mélange entre jazz afro-cubain et musique ouest-africaine
-Dans le même esprit que Salif Keita, Ali Farka Touré et Dizzy Gillepsie

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BEMBEYA JAZZ : La fierté nationale de la Guinée
ORIGINALITÉ 90%
AUTHENTICITÉ 90%
ACCESSIBILITÉ 85%
DIRECTION ARTISTIQUE95%
QUALITÉ MUSICALE100%
92%Overall Score
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Blogueur - RREVERB
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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.