«Cheap Thrills», second album de Big Brother & The Holding Company avec Janis Joplin, est non seulement un fleuron parfaitement représentatif de la musique de son époque, mais l’intérêt qu’il suscite débute avec sa pochette, elle-même digne du statut de légende; à défaut d’avoir convaincu Columbia de publier l’album sous le titre «Dope, Sex and Cheap Thrills» avec une photo du groupe les représentant au lit complètement nus, Janis s’est immédiatement tournée vers le bédéiste Robert Crumb, donc elle était une grande fan, pour en dessiner la couverture. Premier coup de génie : LE bédéiste underground par excellence a prouvé qu’il était à la hauteur de la situation, car la pochette annonce avec beaucoup de justesse ce qui se trouve sur le disque : du pur rock bruyant, puissant, jubilatoire et en Technicolor, rien de moins.

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Qui pis est, ça commence en force avec nul autre que Bill Graham, alors propriétaire des Fillmore East et West ainsi que de Winterland et promoteur de nombreux groupes importants des années soixante, qui les présente au monde entier en tant que «four gentlemen and a great, great broad». À partir de là débute Combination Of The Two, dont l’énergie et la joie débordante rendent bien compte de l’atmosphère du San Francisco d’alors. Tous les éléments y sont : guitares fuzzées et nerveuses, rythme upbeat, et les voix enjouées nous donnent carrément, l’espace de presque six minutes, l’impression d’être à un concert plutôt que d’être en train d’écouter un disque à la maison.

Vient ensuite I Need A Man To Love, qui annonce l’autre couleur de l’album, le blues, avec un refrain poignant et un rendu qui suffit à lui seul à hisser Janis Joplin au rang des grandes chanteuses blues de ce monde. The rest, comme on dit, is history : Summertime et Piece Of My Heart, les deux hits issus de l’album, continuent de nous en mettre plein les oreilles avec des jeux de guitare finement ouvragés et le chant feutré, contenu et toujours au bord de l’implosion de Janis pour le premier et le refrain inoubliable du second, tout en rock et en énergie.

Après ça, il est facile de comprendre comment l’album, alors hautement attendu (le groupe a été au centre d’un long litige contractuel entre leur première maison de disques et Columbia), a pu se hisser aussi vite en tête des palmarès. La suite ne nous laisse pas en reste : après un Turtle Blues à l’authenticité manifeste qui nous permet de souffler un peu et le rock psychédélique et frénétique de Oh, Sweet Mary, on se trouve devant la pièce de résistance, la mythique Ball And Chain. Là où le disque nous donnait des aperçus de l’énergie et l’audace du groupe en concert, la reprise du classique de Big Mama Thornton nous fait entendre Big Brother tel qu’ils se produisaient en spectacle : un rock cru et sans compromis qui allie sensibilité blues et excursions psychédéliques des guitares.

Côté intensité et mise en musique des émotions, difficile de faire mieux pour clore un disque, et on voit pourquoi cette pièce était celle qui terminait leurs concerts, car qu’est-il possible d’ajouter au sortir d’une chanson aussi complète et enveloppante?

«Cheap Thrills», cependant, tire toute son importance et son intemporalité dans la fantastique cohésion de la chanteuse et des musiciens, les guitares au son riche et hautement ressenti (en particulier sur les pièces enregistrées en concert) allant de pair avec la voix sensationnelle de Janis Joplin, la basse et la batterie soutenant le tout sans jamais accuser ne serait-ce que l’ombre d’un brin de fatigue.

Certains ont vu dans Big Brother & The Holding Company un groupe de seconde zone aux capacités limitées qui freinait l’immense talent de Janis Joplin, mais ils savaient pallier à leurs lacunes techniques par un enthousiasme et une vivacité qui sont l’essence même de leur son. L’avenir verra la chanteuse voguer vers d’autres horizons, mais elle ne réussira jamais à atteindre de nouveau la même authenticité, la même facture brute et la même spontanéité sur ses albums subséquents, et Big Brother & The Holding Company, sans pour autant voler en éclats, continuera sans jamais réussir à reprendre sa place sous le feu des projecteurs.

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BIG BROTHER AND THE HOLDING COMPANY
Cheap Thrills
(Columbia, 1968)

-Genre: rock psychédélique, San Francisco Sound
-Dans le même genre que: The Grateful Dead, The Jimi Hendrix Experience, Jefferson Airplane, Quicksilver Messenger Service.

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Blogueur - RREVERB

Non content d'être un boulimique du rock, un obsédé du jazz, un fervent du saxophone et un adepte du 'crate digging' avec un oeil toujours tourné vers les musiques du monde, Guillaume s'adonne également à l'étude de la musique, et passe ses temps libres à l'enseigner et à en jouer avec son groupe de rock psychédélique Electric Junk.