25 ans que Gainsbourg est mort. Environ le même nombre d’années que son fils spirituel, Arthur H, trace son propre chemin. Les univers de ces deux brillants musiciens se sont officiellement croisés ce soir, avec la reprise intégrale du mythique album “Histoire de Melody Nelson”, avec Arthur H au chant, Jocelyn Tellier à la guitare électrique, JF Lemieux à la basse, Tony Albino à la batterie, et rien de moins que les 60 musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal, dirigé par Simon Leclerc, et un choeur de 16 chanteurs. Dans le rôle de Melody elle-même, la toujours charmante Stéphanie Lapointe demeura perchée tout en haut, près de l’orgue.

Un tel événement ne pouvait avoir lieu qu’à la magnifique Maison symphonique et qu’en tant que grand concert d’ouverture de la 28e édition des FrancoFolies de Montréal.

jane birkin arthur h conference de presse 2016

Jane, Arthur, le chef Simon Leclerc, Laurent Saulmier et Monique Giroux (de dos) lors de la conférence de presse

Impossible de dire si Arthur H était intimidé par la commande ou déstabilisé par le fait d’interpréter autre chose que son propre répertoire puisqu’il s’en est extrêmement bien sorti. Bien sûr, sa voix grave se prête bien à chanter Gainsbourg, mais plus encore, il a réussi à le faire sans trahir sa propre personnalité, sans essayer d’imiter Serge, simplement en servant la musique, composée il y a presque 45 ans, et en demeurant Arthur. Le guitariste Jocelyn Tellier est sans doute celui qui a semblé le plus à l’aise : sans enterrer l’orchestre, il reprenait à la perfection les notes stridentes de guitare électrique, avec la même sonorité, en y ajoutant une pincée de son propre style. On l’avait entendu auparavant aux côtés de Fred Fortin, Dumas et bien d’autres.

C’était la toute première fois que “l’Histoire de Melody Nelson” était racontée dans son entièreté, en concert. On peut comprendre pourquoi par le nombre de musiciens requis, mais encore plus par le choix de l’interprète… En effet, qui d’autre qu’Arthur H pouvait chausser les souliers de Gainsbourg pour donner vie à cette œuvre majeure de son répertoire? Il fallait que cela puisse arriver.

Cet album était, en 1971, l’un des tout premiers albums concepts en français, certainement le plus réussi. Rappelons-nous que le fameux “Tommy” des Who n’était sorti que deux ans plus tôt et qu’il précédait de deux années le “Dark Side of the Moon” des Floyd! Quand même.

Voici l’originale.

 

Que dire de cette interprétation par Arthur H et l’OSM autre qu’elle était fidèle à l’enregistrement – déjà un défi en soit! – et qu’à part quelques menus détails, comme le fait que l’orchestre était parfois un peu trop au second plan, tout s’est bien déroulé? C’était spécial d’assister à cet événement, à cette grande première. Un honneur dont on allait se rappeler.

Tout le gratin des VIP et des médias était présent, certains voulant démontrer leur maîtrise ès Ginzberg en chantonnant en avance certaines paroles. Je ne nommerai pas de noms, mais sérieusement…

La ixième version de JANE B

L’orchestre a eu plus de place dans la seconde partie de la soirée, durant laquelle la muse de Gainsbourg, Jane Birkin, est venue chanter plusieurs des titres qu’il avait écrits pour elle. La voix déjà frêle de la dame maintenant âgée de 68 ans est affectée par son état de santé vacillant, ainsi que par les drames qui ont affecté sa vie personnelle ces derniers temps. Rappelons que sa fille aînée, Kate Barry, s’est enlevé la vie en 2013. Birkin a également été affectée par l’attentat perpétré au Bataclan en janvier 2015. Une salle où elle a connu beaucoup de beaux moments.

jane birkin conference de presse 2016

lors de la conference de presse

Mais Jane B n’a rien perdu de son amour du répertoire de Gainsbourg qu’elle honore avec beaucoup d’émotion. Ça se sentait particulièrement sur Physique et sans issue. Elle déclame Serge comme d’autres Rimbaud.

C’est aussi grâce à l’orchestre que l’on a pu apprécier la beauté et la finesse des musiques de Gainsbourg. Un art pas si mineur que ça, lorsqu’on y met une soixantaine de musiciens à l’œuvre. Baby Alone in Babylone a pris une belle ampleur ce soir. Le Gains’ était également un grand mélodiste. La Ballade de Johnny-Jane en est un exemple flagrant. Bien que ce ne soit pas l’une des plus connues de son immense répertoire, cette chanson est mémorable dès la première écoute. La chanson de Prévert, parmi les toutes premières de sa longue carrière, en est une autre.

La voix de Birkin n’atteignait pas toujours les hautes notes qu’elle atteignait il y a vingt ou trente ans, mais elle réussit tout de même à toucher le public par son authenticité et son désir de perpétuer la mémoire et l’art de son défunt (ex) mari. Ces nouveaux arrangements classiques donneront une nouvelle vie au tour de chant de Jane Birkin qui avait bien réussi son coup avec le magistral “Arabesque” de 2002 où elle avait arabisé ces chansons avec grand succès.

 

De nombreuses chansons ont joliment émergé d’une nouvelle façon dans la forme orchestrale. Amour des feintes y gagna beaucoup de classe et Exercice en forme de z devint un exercice de jazz des années 30, puis une pièce qui semblait tout droit sortie de la bande sonore d’un film des années 40. Les dessous chics étaient teintés d’un fort contraste entre la délicate voix de Jane et une montée en intensité des cuivres. Bref, de nouvelles versions intéressantes.

Jane B s’est aussi une première: se réapproprier L’amour en soi que Gainsbourg avait écrite pour Vanessa Paradis à l’époque “Tandem” sur une musique de Franck Langloff. La gadoue semblait un peu maladroite sous les violons, on se souvient de la version allumée avec les Négresses Vertes sur “Versions Jane” de 1996. Une finale plus dynamique est venue la sauver de la guimauve. Les arrangements spectaculaires sur L’anamour, en toute fin de concert, valaient à eux seuls le détour. Les musiciens semblaient s’éclater!

En finale, une version intimiste et touchante de La Javanaise. Magnifique.

Souhaitons en terminant une meilleure santé à cette belle dame.

jane birkin live 2016

 

GAINSBOURG SYMPHONIQUE sera à nouveau interprété le samedi 11 juin, toujours à la Maison symphonique de Montréal. Billets ici.

Photos: Victor Diaz Lamich, FrancoFolies

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Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.