L’artiste qu’est Polly Jean Harvey travaille très fort. Depuis ses débuts, alors qu’elle était dans la jeune vingtaine et poussait son grunge rock à des milliers de décibels, jusqu’à aujourd’hui, où elle explore toujours de nouvelles façons d’écrire ses textes et musiques – notamment en se laissant observer -, la musicienne anglaise travaille à tous les jours sur son art.

Ce n’est pas une chose facile que d’extraire l’inspiration de l’endroit où elle vient, et d’en faire de la musique qui traduit (ou pas) ce qu’elle ressent, ce qu’elle a envie de transmettre. PJ Harvey avoue y travailler tous les jours.

Dans cette série d’entrevues que je vous propose aujourd’hui, observez l’évolution de l’artiste à travers les années. On y sent la femme authentique qui façonne son art, qui le prend au sérieux, jusqu’à ce qu’elle prenne plaisir à voir où sa musique l’emmène.

On remonte en 1994 alors que PJ Harvey venait d’apparaître en trombe dans le paysage musical, après deux forts albums, « Dry » puis « Rid of Me », dans lesquels l’énergie est à son maximum. Alors que PJ Harvey se fait rapidement classifier, à tort, chez le mouvement Rrriot girls, elle avoue que plusieurs des chansons fortes de sa « première époque » avaient été créées dans des moments souvent heureux, exécutées avec un clin d’œil amusé. La distance entre ce qu’elle est et comment elle est perçue débute là.

PJ Harvey raconte composer la musique et les paroles en même temps, d’un trait, pour exprimer assez instinctivement ces envies et folies.

 

 

On retrouve la musicienne six ans plus tard, après la parution de plusieurs albums très variés : le sombre « To Bring You My Love » (1995), l’expérimental « Dance Hall to Louse Point » (1996), le plus léché « Is This Desire? » (1998) et le succès de « Stories from the City, Stories from the Sea » (2000) qui lui valut son premier prix Mercury du meilleur album anglais, selon des critères artistiques.

Au niveau de son écriture, PJ Harvey s’étonne elle-même que des chansons joyeuses aient été écrites dans des périodes difficiles de sa vie et vice-versa. Le processus créatif en est surtout un d’ouverture, d’être prêt à travailler des pistes, ce qu’elle fait au quotidien. Les paroles de l’album « Is This Desire ? » sont les premières de sa carrière à être imprimées dans la pochette du disque, parce qu’elle les perçoit assez solides pour être lues sans musique.

 

Le fait de chambouler son quotidien, en déménageant à New York un an alors qu’elle travaillait sur la musique d’un film, provoque une nouvelle énergie qui a défait sa routine. Non seulement ses habitudes de vie (à quelle heure mange-t-on ou se couche-t-on) sont bousculées, ce qu’elle utilise pour nourrir son inspiration et sa façon de voir les choses. Dans l’extrait ci-dessous, elle évoque aussi ce que c’est que d’écrire pour un autre chanteur, son ami Thom Yorke (de Radiohead), une expérience qui s’est révélée encore plus intéressante et enrichissante qu’elle ne l’avait espéré.

 

Au milieu des années 2000, elle retourne dans un univers plus rock, plus instinctif, plus brut, plus punk. Dans ce concert à l’église St. Lukes datant de 2004 témoigne de cette phase, qui s’est transportée sur le puissant disque « Uh Huh Her ». Elle prendra trois ans plus tard un virage complet en composant des chansons d’une extrême douceur, au piano, sur « White Chalk ».

 

On la retrouve une autre dizaine d’années plus tard, vers 2011, alors que PJ Harvey explique que maintenant, elle écrit les textes séparément des musiques, afin de bien travailler l’accord des mots avant de les confronter au son. Ils doivent vivre d’eux-mêmes, telle la poésie. « If you want to be good at anything, you have to work hard at it. It doesn’t fall from the sky. And I work every day at trying to improve my writing… and I really enjoy it! » explique-t-elle d’un ton posé de la musicienne d’expérience qu’elle est devenue, dans la jeune quarantaine. Un nouveau prix Mercury couronnera « Let English Shake », son album de 2012.

 

Je termine cet article en vous proposant l’écoute dans son entier d’un concert de PJ Harvey datant de 2012, au Sydney Festival. Plus de vingt ans de travail, à poursuivre une démarche artistique, à se défier et se redéfinir, à explorer. PJ Harvey est une grande artiste qui prend la peine de bien travailler, d’aller au fond des choses, au fond d’elle-même pour y créer son propre parcours.

 

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Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.