Le RBC Bluesfest d’Ottawa présentait hier ce qui pourrait bien constituer son plus grand (et son plus controversé) coup depuis longtemps: Kanye West. L’artiste à l’égo démesuré n’a pas beaucoup de présences scéniques au programme cette année, alors prendre l’autoroute s’imposait. Récit d’une soirée mémorable, pas toujours pour les bonnes raisons, dans une foule potentiellement record de 25 000 personnes. Les obstacles Sortir de l’île de Montréal un vendredi soir fut d’abord digne des 12 travaux d’Astérix, mais passons sur ce point qui a tout du jour de la marmotte. L’arrivée dans la capitale nationale fut toute en douceur, jusqu’à ce que je me dirige vers le site du festival (magnifique d’ailleurs, bien près de l’eau et du Musée canadien de la guerre) et qu’un champion dans un état plus que second décide de m’invectiver pour le pur plaisir. Comble de bonheur, il a mis la main sur une bouteille de Gatorade ouverte qui trainait par là pour bien sûr m’asperger du contenu. Lorsque le champion en question s’est mis à expliquer au policier sur le coin de la rue qu’il tentait en fait de “m’empêcher de mettre le feu à mon petit frère”, je suspecte que son explication n’a pas collé. Bonne nouvelle, je ne l’ai pas revu de la soirée. Je me demande d’ailleurs comment va son mal de tête ce matin. Encore une fois, passons. Parlons plutôt du temps d’attente pour récupérer les billets: près d’une heure (dans mon cas, rappelons-le, avec les boxers maintenant imbibés de Gatorade) simplement pour mettre la main sur des billets déjà réservés. C’était déjà long, il faudra aussi subir la fouille. Miracle! Nous sommes à l’intérieur. Qu’est-ce qui nous attend pour se procurer un verre et tenter d’oublier tout ça? Une autre file de 30 minutes. Qu’à cela ne tienne, on s’attelle et on finit par mettre la main sur le précieux nectar. C’était sans compter sur le fait que tout ce temps on pouvait acheter des canettes à des vendeurs dans la foule. Ça m’apprendra. Finalement, un show BON. IL est 21h30. Où est Kanye? Pas trop loin. Où sont les jeunes d’Ottawa qui n’ont jamais vu un show de leur vie? Ils sont TOUS là. Sans exception. Si la foule nombreuse (et incroyablement homogène, uniforme de “short shorts” et camisole noire constituant l’ensemble de prédilection) constitue un succès pour l’organisation, il manquait malheureusement des livrets d’instructions pour les non-initiés. Le show commence en très grande force avec “Stronger” et un Kanye qui, totalement immobile dans son costume de Jedi, voit aussi sa voix submergée par la basse particulièrement intense. Les choses se placent et nos oreilles s’habituent lentement au son, mais on réalise lentement que si le dernier passage de Yeezus au Centre Bell était un pur délire scénique, cette fois il faudra se contenter d’un sobre jeu de lumières blanches qui se déplacent au-dessus de lui en abaissant le “plafond” selon les pièces. Citations: le public vs Kanye Nous sommes à peu près au tiers du spectacle et il entame “Mercy”, de la compilation Cruel Summer, alors que le type derrière moi qui rend visiblement hommage au décès le jour même de son idole Christian Audigier en portant du Ed Hardy de la tête aux pieds, n’a toujours pas cessé de filmer c-o-n-t-i-n-u-e-l-l-e-m-e-n-t le spectacle avec son flash, ce qui ne sert bien sûr absolument à rien considérant la distance mirobolante qui nous sépare de la scène. Ayant officiellement perdu 30% de la rétine de nos yeux et réalisant qu’il est francophone, on lui signale qu’on ne voit pas grand-chose… et j’utilise ici une citation formelle pour vous faire part de sa réponse: “S’t’un ostie de concert t’as pas un mot à dire caliss” Fantastique. Les belles rencontres s’accumulent. Kanye, pendant ce temps, met fin à sa performance de “New Slaves” après un couplet et ferme les lumières sur scène après que la foule n’ait pas trop embarqué dans son “sing along“. Un peu apeuré à l’idée qu’il en fasse un plat, j’attends impatiemment le retour des lumières et lorsqu’il reprend… il refuse tout simplement de chanter et laisse la foule aller dans une incohérence totale. Après avoir pointé ses moniteurs à répétition (je suspecte que sa frustration émanait en fin de compte d’un problème de son et non de la foule), il retrouve toute sa voix pour “Blood On The Leaves“, un moment fort qui a donné le ton pour une deuxième moitié beaucoup plus réussie. gracieuseté RBC Bluesfest d’Ottawa L’exceptionnelle “Runaway” était moins bâclée qu’à Montréal l’an dernier, mais toujours suivi de son désormais traditionnel monologue. Moins délirant que la dernière fois, il a tout de même offert quelques perles en moins de cinq minutes: “Whoever’s talking shit about me I don’t give a f*ck. I’m not a sell out. […] Others have been compromised by money and corporate opinion, but not me. […] I want you to remember this night for the rest of your life, because there’s only one motherf*uckin’ Kanye West“ Oui, juste ça, de la part du gars qui est sorti d’un contrat avec Nike pour lancer des souliers avec Adidas en disant que c’était la meilleure solution pour en vendre le plus grand nombre. MAIS QUI N’EST PAS UN SELL OUT. C’est clair? Finir en force Après l’inévitable enfilade de succès de ses trois premiers albums, ça aura finalement pris “Gold Digger” pour que la foule se décide enfin à chanter en choeur. Ce premier moment de réjouissance est celui que choisiront les deux deux beaux énergumènes directement à ma droite pour finalement se battre à poings nus au sujet de, si j’ai bien compris, celui qui avait la permission de tenter de séduire la fille entre les deux. Une belle étude sociologique du comportement des primates en cage qui fut rapidement interrompue par les inconnus avoisinants qui ont utilisé des arguments rationnels avec un succès mitigé. Qu’est-ce qui se passe de bon sur scène après tout ça? “All Of The Lights“, qui avait fait lever le plafond du Centre Bell la dernière fois, démarre sur léger fond d’indifférence. C’est à croire que le public est enfin épuisé de se pousser et se compacter davantage, mais l’énergie est encore là pour l’excellente “Niggas In Paris”. Vous croyez que c’est fini? Non, il reste “Only One”, pas particulièrement sur une note forte malgré le calibre d’écriture. Kanye se met au sol et regarde le ciel, embrasse celui-ci dans un mouvement d’acting digne d’une parodie (ou d’une pièce de théâtre suractée de Duceppe) et les lumières se ferment. That’s it. Bref, si mon passage à Ottawa, ville que j’adore sincèrement et que je défends régulièrement, aura plutôt ressemblé cette soirée-là à la relation de Homer Simpson avec New York, c’est bien la faute d’un public mésadapté bien plus qu’une organisation qui a, j’insiste, frappée un très grand coup. Il reste de multiples raisons de s’y rendre d’ici là, mais je pense que je devrai me rendre à l’évidence qu’à ce stade-ci de ma vie je vais plutôt attendre impatiemment le passage de Wilco au CityFolk en septembre pour ma prochaine visite. Et vous savez quoi? J’ai hâte. Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments