Il est parfois curieux de lire ou d’entendre que le rock – et la bonne musique pop, par extension – serait mort en 1958-59, et ne serait réapparu qu’en 1963-64. L’année 1958 marque l’entrée d’Elvis dans l’armée, la conversion religieuse de Little Richard et la mise au ban de Jerry Lee Lewis et de Chuck Berry. Buddy Holly n’avait que quelques mois à vivre et le scandale de la payola était sur le point d’être rendu public. Enfin, disaient certains conservateurs, les efforts avaient rapporté pour réduire à néant cette musique décadente qui incitait les adolescents à la rébellion. Les Pat Boone, Bobby Vinton, Paul Anka et autres crooners pop plaisaient beaucoup plus à l’establishment. L’ordre aurait ainsi régné jusqu’à ce que les Beatles et leurs semblables, avec leurs dangereuses coupes de cheveux, conquièrent le monde.

Ce récit fort divertissant, mais très simpliste, élude toutefois une partie importante de l’histoire du rock anglo-saxon. Les innovations – et la bonne musique – ont en effet été nombreuses entre le ressac de la première vague du rock ‘n’ roll et le début de la British Invasion. Parmi les développements importants, ce qui a été appelé « girl group » a eu un impact significatif, en raison notamment des innovations musicales et stylistiques et du succès de ces groupes. L’influence qu’ont eu ces groupes sur les formations qui ont constitué la British Invasion, en premier lieu les Beatles, est également non négligeable.
Cet intéressant documentaire retrace l’origine et quelques-uns des succès de l’âge d’or des « girl groups ».

Par souci de clarté, lorsque je parle de l’époque « girl group », je ne fais pas référence aux Spice Girls ou autres TLC des années 90, qui ont été un phénomène commercial majeur, mais artistiquement peu satisfaisant. Cette dance pop des années 90 a peu à voir avec les groupes des années 60. Les « girl groups » des années 60 sont aussi à distinguer de certains groupes des années 70 et 80, comme The Runaways, The Slits, The Bangles ou The Go-Go’s, dont les membres jouaient elles-mêmes les instruments. Les groupes des années 60 étaient souvent des trios, quatuors ou quintettes vocaux qui se concentraient exclusivement sur le chant. Afro-américaines pour la plupart, les femmes qui se retrouvaient dans ces formations amenaient des influences diverses, incluant le gospel, le rhythm and blues, le doo wop et le soul.

L’apport distinctif et, finalement, essentiel au son « girl group » est venu de réalisateurs, arrangeurs et auteurs-compositeurs qui, eux, baignaient dans la pop et le rock. Des duos du Brill Building (édifice à New York où se retrouvaient ces compositeurs) ont écrit certains des plus gros succès de l’époque. Gerry Goffin et Carole King ont écrit Will You Love Me Tomorrow, des Shirelles, The Loco-Motion, de Little Eva, et One Fine Day, des Chiffons. Pour leur part, Jeff Barry et Ellie Greenwich sont les auteurs de Be My Baby, des Ronettes, Da Doo Ron Ron, des Crystals, Chapel Of Love, des Dixie Cups, et Leader Of The Pack, des Shangri-Las.

Shangri-Las

The Shangri-Las

Du côté de Motown, les groupes féminins occupaient une place importante, avec entre autres The Marvelettes, Martha and the Vandellas, The Velvelettes et The Supremes (ce dernier groupe est un des plus populaires de l’histoire, et a même rivalisé pendant quelques temps avec les Beatles!). Le trio formé de Lamont Dozier et des frères Brian et Eddie Holland a composé et réalisé certains des plus grands succès de Motown, dont Baby Love, des Supremes, et Nowhere To Run, de Martha Reeves and the Vandellas.

Un acteur majeur de l’époque « girl group » est certainement Phil Spector. On peut même dire qu’il a défini le son de ces groupes, avec son Wall of Sound. C’est une technique révolutionnaire, où le son est dense et où l’on distingue difficilement chacun des instruments. Spector aimait utiliser au minimum quatre guitares, deux basses, trois pianos, deux batteries, des percussions, des cuivres et des cordes. C’est avec The Ronettes, The Crystals, Darlene Love et The Paris Sisters qu’il a connu le plus de succès. Il a réalisé des chansons écrites par Goffin/King, Barry/Greenwich et Cynthia Weil et Barry Mann. Le son de ses singles a été constamment imité, notamment par Motown et George « Shadow » Morton (réalisateur des Shangri-Las).

Même si l’arrivée des Beatles et des autres formations blues-rock britanniques n’a pas marqué la fin des groupes féminins, un ralentissement a certes suivi. Mais on peut sans aucun doute entendre l’influence des « girl groups » sur plusieurs formations anglaises. Les Beatles, et le Merseybeat en général, ont été très marqués par plusieurs de ces groupes. Sur leurs quatre premiers albums, les Beatles ont repris Chains, Baby It’s You, Please Mr. Postman et Boys, qui avaient toutes été chantées à l’origine par des groupes féminins. L’énergie, l’insouciance et l’ingéniosité de la musique n’a pas échappé aux quatre garçons de Liverpool. Les Beach Boys ont aussi une dette envers plusieurs de ces groupes, principalement ceux qui ont été réalisés par Spector.

J’ai donc préparé une liste de lecture comprenant 42 chansons tirées de cette époque. On y retrouve des classiques, et d’autres chansons moins connues. Mais toutes les pièces ont ceci en commun qu’elles dégagent une joie de vivre et une exubérance contagieuses. C’est de la musique bien construite, et surtout de la pop de qualité qui mérite d’être écoutée et réécoutée. Les compilations sont rares, ou sinon difficiles à trouver. Les deux disques « Girl Groups: Best of Vol. 1 » et « Girl Groups: Best of Vol. 2 » offrent une bon aperçu, mais ne contiennent toutefois pas de chansons de Motown ou de Phil Spector.

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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.