La pianiste jazz québécoise Marianne Trudel a plusieurs projets en tête ces temps-ci. Elle compose pour les Violons du Roy, joue du Joni Mitchell et du Monk avec Karen Young, répète avec son trio Trifolia, collabore avec Sonia Johnson… Une période de “personnalités multiples” comme elle l’avoue elle-même, où des idées musicales bien différentes se bousculent dans sa tête. Mais ce soir, elle se lançait dans une tout autre aventure. Et elle s’y lançait seule. En plus de tout le reste, Marianne Trudel s’est donné le défi de jouer en solo. Un exercice rare, qui la stresse parce qu’elle s’y sent seule, mais qui lui plaît énormément, pour la liberté que le piano solo lui apporte. Magnifique pianiste à l’aise autant dans les mélodies qui soulèvent l’âme (comme la bien-nommée Deux soleils), que dans les mouvements plus expérimentaux (on a eu droit à du piano préparé) ou plus syncopés, Marianne Trudel est toujours un plaisir à écouter. Voilà une musicienne qui se laisse emporter par sa musique, qui se laisse transporter par les idées qui lui traversent l’esprit lorsqu’elle est assise devant son instrument de prédilection. La sympathique musicienne originaire de Saint-Michel-de-Bellechasse a pris la peine de nous parler de ce qu’elle allait entreprendre au piano, d’expliquer l’esprit de certaines compositions. Pièces qu’elle s’est permise de revisiter allègrement puisqu’elle était seule sur scène. Après avoir joué Soon, qui contient plusieurs passages bien différents les uns des autres, elle se réjouit: “Je me rappelle pourquoi j’ai voulu faire ce concert solo: pour la liberté que ça procure. On peut changer des choses, étirer certains moments, en passer d’autres, insérer une impro… Tout ce qu’on veut!” C’est aussi ça qui effraye, cette absence de cadre peut aussi faire perdre le fil au musicien. Marianne Trudel ne devrait pas craindre quoi que ce soit. Son talent, sa touche et sa belle imagination musicale lui ont permis d’offrir un magnifique concert, ce soir au petit Outremont. Les chanceux qui ont choisi d’y être y ont savouré un délicieux moment. CHICOUTAI – L’affaire d’un soir En seconde partie de cette belle soirée d’été où les terrasses étaient fort occupées sur la rue Bernard (photo du haut), Marianne Trudel fut rejointe sur scène par la violoniste Laura Risk et la flûtiste Marie Marceau. Ensemble, ces trois femmes forment l’ensemble Chicoutai, du nom d’une plante de la Côte-Nord qui ne donne son fruit qu’une fois par année. “Ça nous convient de ne faire qu’un concert par année, parce que nous sommes trois femmes fort occupées!” d’expliquer Marianne, le sourire dans la voix, visiblement ravie de la musique qu’elles font ensemble. Risk, qui détiendra bientôt un doctorat en ethnologie de la musique, et Marceau ont expliqué la source de plusieurs chansons interprétées ce soir. Fascinées par l’histoire de la musique, ainsi que par les traditions culturelles, elles nous racontent comment La Parricide s’est frayée un chemin de l’Italie médiévale, à Charlevoix, en passant par les mains d’un jongleur français… ou qu’il existe des cornemuses françaises bien différentes de celles faites par les Bretons. Cornemuse qu’elle a réussi à me faire apprécier lors d’un morceau où Trudel a troqué son piano pour un accordéon. Dieu sait que ce n’est pas facile d’aimer les sons nasillards de cet instrument… C’était intéressant autant pour nous que pour elles de constater où irait la musique de ces trois complices. La violoniste Laura Risk l’a dit: elle avait hâte de voir où la flûtiste et la pianiste allaient amener ses compositions. Elle semblait ravie. Trudel amena beaucoup de jazz, quelques tensions ici et là, une touche de modernité fort agréable dans ce répertoire ancien. À certains moments, comme dans le reel des années 20 présenté en fin de concert, le contraste entre le neuf et l’ancien était spectaculaire! “Ce ne sera pas pareil comme en 1928”, nous avait avertis Risk. C’était magnifique de voir trois femmes musiciennes, en plein contrôle de leur art, avoir autant de plaisir à construire un répertoire ou à déconstruire des airs. Les trois ont eu le sourire accroché au visage tout au long de leur rencontre musicale. Nous aussi. MARIANNE TRUDEL jouait au petit Outremont d’abord en solo puis avec son projet CHICOUTAI, le samedi 21 mai 2016. Prochain rendez-vous, le samedi 28 mai, même salle, cette fois avec TRIFOLIA. Billets ici. photos: Nicolas Pelletier, pour RREVERB. Tous droits réservés Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments