Le titre pourrait laisser croire qu’ils se sont calmés ou qu’ils ont délaissé le rock pour se consacrer à une recherche ésotérique déclinée à travers le prisme du minimalisme, mais heureusement, il n’en est rien; Acid Mothers Temple & The Melting Paraiso U.F.O., infatigables explorateurs de toutes les régions connues et inconnues du psychédélisme, emmènent leurs auditeurs avec eux pour une dérape sans pareil dans leur « Univers Zen Ou De Zéro À Zéro ». Il est permis de douter du versant zen de cette musique, mais le terme « univers » est ici des plus représentatifs, le collectif passant du rock aux pièces pastorales jusqu’au mantra hypnotisant dans un (long) battement de cils pour proposer, en soixante-et-onze minutes, un tour d’horizon des diverses influences et sonorités qui ont façonné leur aura légendaire.

 

Ladite dérape démarre en trombe : après une brève introduction de la ligne mélodique qui sera la base de la pièce, la batterie saute
tête première dans Electric Love Machine, catapultant l’auditeur en orbite de cette ardente chanson rock où deux titans (respectivement Kawabata Makoto et Hiroshi Zarazaki, celui-là issu des légendaires noise-rockers Les Rallizes Dénudés) s’affrontent à coups de solos de guitare dans une bataille intersidérale sans merci. Pour ceux qui sont familiers avec l’oeuvre d’Acid Mothers Temple, une groove vive et circulaire assortie de guitares bruyantes aux solos nerveux sonne sans doute comme quelque chose d’aussi surprenant qu’une tâche ménagère, mais il s’agit ici d’un premier pan trompeur d’une carte des étoiles dont l’immensité et la diversité ne cessent de se déployer à mesure que se poursuit l’exploration de ce vaste Univers Zen… et pour cause : après cette supernova de fuzz, la poussière galactique retombe sur le calme Ange Mécanique de Saturne et ses douces guitares acoustiques, Cotton Casino adoptant pour l’occasion un chant aussi délicat qu’enfantin.

Survolée de lents bourdons électriques et d’effets sonores évoquant autant l’espace qu’une vision tordue de la robotique, ce bijou de naïveté et de candeur vaut à lui seul le détour par cette plage d’une dizaine de minutes de lénifiante apesanteur, réussissant presque à dissiper les relents de rock and roll qui résonnent toujours dans nos oreilles bien après la fin d’Electric Love Machine.

 

Bien sûr, ce détour bucolique ne saurait durer bien longtemps, un long hurlement de feedback embrasant l’horizon aussitôt que Blues Pour Bible Noire s’amorce, et une vingtaine de minutes constellées de guitares aussi délavées qu’abrasives s’ensuivent, leurs solos rampants soutenus par une basse en mode hyperactif flirtant de-ci de-là avec une métrique deux fois plus rapide que le reste du groupe. Cette pièce entame une éclipse qui progressera pour le reste de la durée de l’album, ce Blues diffusant une ambiance sombre qui ne le quittera plus, et ralentissant suffisamment les grooves circulaires si chères au groupe pour les ramener au niveau de mantras, permettant à Cotton Casino d’étirer les voyelles de son chant paresseux et à la guitare de Kawabata Makoto de distiller de rampants et corrosifs larsens qui remplissent la totalité de l’espace sonore disponible.

Coincée entre deux immenses nébuleuses, Trinité Orphique est un chant monacal qui semble issu d’une abbaye électrique en apesanteur, écho d’un autre espace-temps qui fait office de conduit entre le Blues précédent et cet ardent Soleil De Cristal Et Lune D’argent dont l’ombre plane sur cet « Univers Zen ».

 

Proche d’une marche funèbre teintée de sonorités du Moyen-Orient, ce morceau semble taillé sur mesure pour une procession funéraire extraterrestre ou une cérémonie de magie noire à grand déploiement, le chant insistant de Cotton Casino demeurant en rotation de longues minutes avant que la musique ne parvienne à un paroxysme hypnotique qui se fond dans un épisode de flottement psychédélique qui ne donne que davantage de ressort au mantra du début, lequel est entonné à nouveau avec force voix mélangées aux échos du délire qui occupe le pan central de la chanson. Gros programme? En effet, mais comment s’en inquiéter lorsqu’il est mené de main de maître par les grands prêtres du genre? Enfin, après un petit moment champêtre, Acid Mothers Temple payent la traite à leurs fans avec leur classique pièce a capella qui conclut leurs prestations scéniques, God Bless AMT… laquelle vole en éclats avant de rendre à l’univers sa stabilité grâce au chant des oiseaux.

Si l’univers n’apparaît plus aussi zen après cet album, on ne saurait accuser le groupe de ne pas avoir clos leur disque en laissant le monde dans son état originel, offrant du même coup une porte d’entrée idéale pour quiconque ne sait trop par quel bout prendre leur foisonnante discographie.

 

 

 

 

 

Acid Mothers Temple & The Melting Paraiso U.F.O.
Univers Zen Ou De Zéro À Zéro
(Fractal Records, 2002)

– Genre: rock psychédélique
– Dans le même genre que: Boris, Ghost, Les Rallizes Dénudés, Boredoms

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Blogueur - RREVERB

Non content d'être un boulimique du rock, un obsédé du jazz, un fervent du saxophone et un adepte du 'crate digging' avec un oeil toujours tourné vers les musiques du monde, Guillaume s'adonne également à l'étude de la musique, et passe ses temps libres à l'enseigner et à en jouer avec son groupe de rock psychédélique Electric Junk.