Le moins qu’on puisse dire, c’est que Bruce Springsteen a travaillé fort pour réussir à se hisser au sommet. Né en 1949 au New Jersey, Springsteen a commencé sa carrière au sein de plusieurs petits groupes folk-rock et R&B. Il a été repéré en 1972 par Columbia Records, et deux albums ont suivi en 1973, les excellents « Greetings From Asbury Park, N.J. » et « The Wild, The Innocent & The E Street Shuffle ». Le succès commercial n’a toutefois pas été au rendez-vous. Il a redoublé d’ardeur pour produire son premier chef-d’œuvre en 1975, avec « Born To Run ». Appuyé par son groupe qui deviendra le mythique E Street Band, Bruce a créé un rock passionné, fiévreux et poétique, d’une intensité rarement égalée. Paru en 1978, « Darkness On The Edge Of Town » est certes moins grandiose que le précédent opus, mais demeure un grand classique du rock américain.

Après l’énorme succès de « Born To Run », une interminable bataille légale est survenue entre Springsteen et son gérant Mike Appel. Les deux ne s’entendaient plus sur la direction à suivre, et Bruce a découvert des clauses qui lui ne plaisaient pas dans le contrat qui liait les deux hommes (il a notamment constaté qu’il ne possédait pas les droits de ses chansons…). Springsteen a essayé de se défaire de son contrat, mais Appel ne l’a pas laissé faire, allant même jusqu’à obtenir une injonction pour l’empêcher d’entrer en studio! Bruce et son E Street Band n’ont donc pas eu d’autre choix que de partir en tournée, mais avec la rage au cœur. Le litige s’est finalement réglé à l’amiable au printemps 1977, et Bruce a pu aller en studio enregistrer les dizaines de chansons qu’il avait composées dans les années précédentes.

0:00. Badlands / 04:03. Adam Raised A Cain / 8:38. Something In The Night / 13:52. Candy’s Room / 16:41. Racing In The Street / 23:36. The Promised Land / 28:05. Factory / 30:25. Streets Of Fire / 34:29. Prove It All Night / 38:30. Darkness on the Edge of Town

C’est donc dans ces circonstances qu’a vu le jour « Darkness On The Edge Of Town ». Cela peut expliquer le côté aride, austère et moins commercial de l’album, surtout en comparaison avec son prédécesseur. Les deux faces du vinyle original commencent cependant avec des pièces diablement énergiques. Badlands ouvre l’album avec un rock presque martial qui donne le ton. On sent l’urgence, dans le fond comme dans la forme, lorsque Bruce crache ces paroles : «Well, I believe in the love that you gave me / I believe in the faith that can save me / I believe in the hope and I pray / That someday it may raise me / Above these badlands ». Le solo de saxophone de Clarence Clemons est court mais excellent! La prestation des autres membres du E Street Band est aussi à souligner : Roy Bittan au piano, Danny Federici à l’orgue, Garry Tallent à la basse, Max Weinberg à la batterie et Steve Van Zandt à la guitare.

L’harmonica donne la charge sur la cinématique The Promised Land, avec un son caractéristique du E Street Band. Le narrateur du texte passe par le désespoir, pour aborder ensuite la résilience et la détermination. La férocité avec laquelle Bruce chante ces mots ne peut que nous encourager à y croire : «Blow away the dreams that tear you apart / Blow away the dreams that break your heart / Blow away the lies that leave you nothing but lost and brokenhearted ». L’irrésistible groove de Prove It All Night est très bien ficelée, avec l’orgue qui se démarque. Une urgence se dégage également de l’excellente Candy’s Room, alors que la guitare grinçante de Bruce et la batterie intense de Weinberg sont à l’avant-plan.

Clarence Clemons avec Bruce

Si une chanson peut représenter le côté « col bleu » de Bruce Springsteen et sa volonté de mettre en scène les espoirs et les difficultés de la classe ouvrière états-unienne, c’est bien Factory. Au rock plutôt hard, Adam Raised A Cain aborde une relation père-fils plutôt houleuse. En contraste, les deux pièces qui clôturent chaque face sont des ballades. Menée par le piano, parfois suivi de l’orgue, la superbe Racing In The Street évoque un inextricable mais complexe besoin de liberté « Some guys they just give up living / And start dying little by little, piece by piece / Some guys come home from work and wash up / And go racin’ in the street ». À la toute fin de l’album, la chanson-titre est une autre ballade à l’allure tragique, transportée par l’orgue planante et le chant passionné de Bruce.

« Darkness On The Edge Of Town » a certes marqué un tournant dans la carrière de Bruce Springsteen. La gestation de ce premier album suivant sa percée commerciale a été rendue complexe en raison de la dispute judiciaire avec son ancien gérant. Bruce a aussi quelque peu simplifié son écriture. Ses trois premiers albums comptaient beaucoup de chansons épiques à la théâtralité romantique, alors que celui-ci rassemblait des chansons plus courtes, à l’allure plus simple. L’image du col bleu, si chère à Springsteen et que son personnage public de l’époque « Born In The U.S.A. » mettra de l’avant, se retrouve à l’avant-plan sur cet album.

Les sonorités de « Darkness On The Edge Of Town » sont par ailleurs plus épurées et moins denses que sur les précédents opus. Il y a moins de R&B, le son est plus proche du hard rock, voire du punk qui naissait à cette époque. Le saxophone de Clarence Clemons est aussi moins présent sur cet album. Avec « Darkness On The Edge Of Town », Bruce Springsteen a montré qu’il n’en faisait qu’à sa tête, comme le montrera la succession de ses prochains albums, passant de l’album-double « The River » au très dépouillé « Nebraska », jusqu’au phénomène de culture populaire « Born In The U.S.A. ».

 

BRUCE SPRINGSTEEN

Darkness On The Edge Of Town

(Columbia, 1978)

 

-Genre : heartland rock

-Dans le même genre que Creedence Clearwater Revival, Tom Petty et Neil Young

 

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BRUCE SPRINGSTEEN n'en fait qu'à sa tête!
ORIGINALITÉ 80%
AUTHENTICITÉ 100%
ACCESSIBILITÉ 85%
DIRECTION ARTISTIQUE 100%
QUALITÉ MUSICALE 100%
TEXTES 95%
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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.