Les racines d’« ECHO », album majeur et trop souvent oublié du free jazz, se plongent dans l’univers exotique et bigarré du festival pan-africain d’Alger de 1969 où DAVE BURRELL s’est produit, sous la direction de son collaborateur Archie Shepp, en compagnie de nombreuses grosses pointures du free jazz post-Coltrane. Alan Silva, Grachan Moncur III, Sunny Murray, Clifford Thornton et Arthur Jones: toute la dynastie de l’étiquette BYG-Actuel semble s’être donné rendez-vous avec Burrell pour lui permettre de placer, à son tour, son étoile au sein de la constellation de ce label mythique. Pour le meilleur et pour le pire, le septet a enregistré ce disque radical en une seule session avec les moyens du bord, et de cette folle équipée cathartique sont issus les deux morceaux qui le constituent.

Sunny Murray, Grachan Moncur III, Clifford Thornton, Alan Silva, Archie Shepp et Dave Burrell, festival pan-africain d'Alger, 1969.

Sunny Murray, Grachan Moncur III, Clifford Thornton, Alan Silva, Archie Shepp et Dave Burrell, festival pan-africain d’Alger, 1969.

Echo a, justement, été inspirée par le son des ambulances et des voitures de police d’Alger, l’instabilité de la quarte augmentée de leur timbre ayant marqué le pianiste au point d’en faire l’élément central de la pièce. Cet intervalle, que l’oreille occidentale cherche par tous les moyens à résoudre de façon mélodieuse, se voit donc ici à l’honneur: chaque ligne, chaque son énoncé entre en conflit avec un autre, et l’absence de tout élément structurant et de solos ordonnés dépasse ledit intervalle pour générer une tempête dont le chaos ne peut être que le seul maître.

Pour des musiciens accomplis rompus à l’exercice de l’improvisation absolue, il serait injuste et intellectuellement malhonnête de déclarer qu’Echo est « du gros n’importe quoi » ou que n’importe qui serait capable de faire la même chose, car il n’y a pas ici de fausse note, de mauvaise prestation ou de faute de goût; dans ce contexte free pleinement assumé, musiciens et auditeurs doivent considérer chaque intervention individuelle, voire chaque phrase mélodique ou même chaque note comme une occasion de déboucher sur autre chose sans s’accrocher à une tonalité ou un motif. Il n’y a qu’à se concentrer sur le piano pour s’en convaincre: entre des traits de gamme exécutés à la vitesse de l’éclair et le martèlement effréné des notes les plus basses du clavier (un exemple éloquent en étant donné autour de la marque des 10 minutes), on entend Dave Burrell utiliser à la fois le plein registre et les qualités percussives de l’instrument, fournissant du coup une base à lourde charge dramatique que les autres instrumentistes peuvent explorer et développer au gré de leur inspiration.

 

Du côté de la face B du vinyle, on retrouve la même liberté au niveau de l’interprétation, mais le ton change: au yin rageur de Echo vient s’opposer la plénitude et la rondeur quasi rassurante du yang de Peace, qui fait pleinement justice à son titre. Le piano demeure le point focal comme sur la face A, mais là où cette dernière présente un Dave Burrell agressif, échevelé et en état de catharsis infernale, on est maintenant en présence d’un pianiste méthodique, réfléchi et séduisant. L’idée est fort simple: partant d’une banale gamme majeure ascendante, Burrell propulse l’auditeur dans l’infini dès la fin de cet énoncé de départ, la pédale forte du piano semblant dérober le sol sous les pieds du groupe pour les installer en une confortable apesanteur.

À partir de là, la gamme de départ est décomposée, transformée et redistribuée dans des motifs simples qui, à leur tour, se diluent dans d’autres motifs qui ne s’éloignent jamais trop des traits de gamme qui les constituent. Le reste de l’ensemble, cimenté par les cymbales omniprésentes de Sunny Murray, s’impose de façon moins musclée que sur Echo, formant autour du leader une constellation où chacun entre et sort comme pour habiller les ornementations du piano avec une mesure et un sens du timing idéaux avant d’être ramenés sur Terre par un rallentando sur une gamme descendante de Burrell qui s’éteint doucement sur quelques traits de gamme.

On peut certes reprocher à « Echo » d’avoir été mal enregistré, chaque instrument hormis le piano étant plus ou moins audible et le volume puissant de la prestation enregistrée rendant la captation floue et inégale (situation récurrente dans le catalogue de BYG-Actuel), mais la saturation de l’enregistrement évoque à elle seule le brouhaha citadin d’Alger dans Echo autant qu’il nimbe Peace d’une voile de mystère supplémentaire, transcendant ce défaut technique pour le hisser au rang de trait stylistique. Au-delà des querelles que ce simple fait peut susciter, il demeure qu’« Echo » est autant un document précieux de la frange du free jazz américain alors exilé en Europe qu’un album unique dans la discographie riche et variée d’un musicien méconnu du grand public.

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DAVE BURRELL
Echo
(BYG-Actuel, 1969)

– Genre: free jazz
– Dans le même genre que Archie Shepp, Pharoah Sanders, Sunny Murray, Alan Silva, John Coltrane post Love Supreme.

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Non content d'être un boulimique du rock, un obsédé du jazz, un fervent du saxophone et un adepte du 'crate digging' avec un oeil toujours tourné vers les musiques du monde, Guillaume s'adonne également à l'étude de la musique, et passe ses temps libres à l'enseigner et à en jouer avec son groupe de rock psychédélique Electric Junk.