Top 10 2014: l’année des retours assumés (par Karl-Philip M-G) Karl-Philip Marchand Giguère 2014/12/13 Albums 2014 achève enfin (il était temps) et s’il y au moins une chose positive au moment de faire le top 10, c’est le nombre de parutions musicales de qualité. Faire le palmarès scientifique n’est jamais évident, alors je fais ce que je peux! En espérant vous faire découvrir quelque chose (c’est autant le but que de se réconforter dans nos choix, après tout). Bonne lecture et on se retrouve la semaine prochaine pour le meilleur des rééditions! 10- Bike For Three!: So Much Forever L’année n’a pas été facile pour Buck 65 et la parution de son plus récent album sous son nom de scène assumé ne sera probablement à long terme qu’une note de bas de page quand on fera le bilan d’une longue carrière hétéroclite. Ce qu’on oubliera probablement, par contre, est qu’il a fait paraitre en tout début d’année un deuxième album sous le nom Bike For Three!, duo qu’il forme avec l’artiste belge Greetings From Tuskan et qu’il n’a toujours jamais rencontré en personne (c’est le concept de la collaboration virtuelle). Les 15 pièces sont entrainantes, fusionnent un électro-rap intemporel à une qualité de production à jeter un mur par terre sur la version vinyle, et on y sent que Rich a quelque chose à prouver à lui-même dans son “flow”. Bref, ce qui aurait pu être son grand retour est passé relativement inaperçu au profit d’une thérapie publique (l’album Neverlove). À redécouvrir pendant qu’il en est encore temps. 9- Death From Above 1979: The Physical World Si la réunion “surprise” de Sebastien Grainger et Jessee F. Keeler était déjà complètement inattendue en 2011, la parution d’un nouvel album 3 ans après les faits est encore plus surprenante. Le duo a repris là il a laissé dix ans plus tôt, teintant son agressivité de jadis d’une maturité qui fait place à des textes plus variés et assumant encore davantage son côté pop avec l’aide du producteur Dave Sardy (LCD Soundsystem, Nine Inch Nails). Ça ne réinvente rien, surtout pas leur propre son, mais la pause d’une décennie entre les deux albums permet d’avoir été suffisamment en manque du genre pour apprécier à nouveau la recette. Mais surtout, c’est un peu comme recevoir un cadeau surprise alors que ce n’est ni notre fête ni Noël. Et ça fait dangereusement du bien. Et comment ne pas succomber à une finale aussi épique? 8- Beck: Morning Phase On s’entend, Morning Phase n’est ni plus ni moins qu’une version actualisée de Sea Change par un Beck dans un bien meilleur endroit émotivement. Mais le résultat est tout aussi prenant, chargé d’émotion, et permet de se réconcilier avec l’artiste qui semble enfin assumer tous ses côtés après une décennie à tenter de recapturer en vain la magie de Odelay. Paru en février dernier, Morning Phase est devenu la trame sonore inévitablement un peu noire d’un hiver difficile, agissant comme une couette confortable sous laquelle on peut quotidiennement se glisser avec aise. Au même titre que Sea Change tourne toujours chez moi sans hésitation quand le besoin s’en fait sentir, Morning Phase reviendra fort probablement au cycle des saisons, que le soleil se couche tôt ou qu’il se lève tôt avec une brise qui entre par la fenêtres. 7- Obliterations: Poison Everything Stephen McBean vient de connaitre son année la plus imprévisible. Le leader de Black Mountain a réactivé son projet Pink Mountaintops pour un album qui n’a en commun avec les précédents que le nom du groupe (mais qui gagne en pertinence après quelques écoutes), avant de se joindre comme guitariste à Obliterations, groupe punk quasi-trash aux influences metal bien présentes dont le son rappelle les origines californiennes à chaque détour (pour ne pas dire riff). Le résultat dépasse largement l’exercice de style et fait le pont, d’abord et avant tout à travers ses membres mêmes, entre deux générations d’un mouvement dont ils nous rappellent la pertinence en s’assumant complètement. Un incontournable du genre qui fait honneur aux “règles” sans les redéfinir. 6- Ryan Adams: Ryan Adams Au tournant de la décennie, Ryan Adams a fait le ménage de ses démons, marié Mandy Moore, écrit deux livres puis fait paraitre l’album Ashes & Fire (tentative tout de même réussie de séduire le public “Starbucks”) avant de menacer de laisser tomber la musique. Après une pause anormalement longue de presque 4 ans, on commençait presque à y croire. Mais la pause lui aura fait le plus grand bien, et son retour est marqué par un album cohérent qui plaira enfin autant aux fans de ses côtés rock que folk/americana, avec même cette petite touche country des années Cardinals. Conclusion: Ryan Adams semble enfin s’assumer, poussant l’audace jusqu’à reproduire pour cet album éponyme le lettrage du classique Reckless de Bryan Adams, dont le simple fait de prononcer le nom lui donnait jadis des boutons. Autre preuve de ce renouvellement artistique: en plus de cet album, Ryan a fait paraitre cette année pas moins de 4 EP limités de matériel exclusif par le biais de son label PaxAm. Il est déjà trop tard pour mettre la main la dessus, mais d’ici là essayez de vous sortir ce premier extrait de la tête juste pour voir: 5- Thurston Moore: The Best Day Si on pouvaient être dévastés après s’être fait briser le coeur et notre idéalisme après la rupture de Thurston Moore et Kim Gordon et la dissolution subséquente de Sonic Youth, on ne peut que s’incliner devant la renaissance musicale de l’éternel grand ado. Après une réapparition sous le nom Chelsea Light Moving avec une couche de son brutale qui servait à masquer son insécurité autant que la discrétion du nom, le voilà de retour sous son nom, photo d’époque de sa mère à l’appui. Accompagné de Steve Shelley, batteur rescapé de Sonic Youth, et Debby Googe de My Bloody Valentine à la basse, il a en quelque sorte recréé la base de son groupe légendaire avec un son qui rappelle davantage l’introspection de ses efforts solos. Bref, le parfait mélange des genres pour ce musicien intemporel qui parvient encore, 30 ans plus tard, à nous surprendre même dans sa zone de confort. 8 pièces qui marqueront sans aucun doute le début d’une deuxième vie qui nous promet d’autres belles surprises. 4- Sharon Van Etten: Are We There Les albums sentimentaux ne manquent pas chaque année, mais Sharon Van Etten semble posséder un don pour exorciser ses ruptures et ses craintes en créant au passage des albums qui pourraient être littéralement prescrits. Si on y sent la douleur du présent et la crainte de l’inconnu, on retrouve néanmoins toujours au passage un rayon de soleil qui donne envie d’y revenir encore et encore. Sharon Van Etten s’est cette fois dépassée, amenant une touche aussi moderne qu’intemporelle à un propos éternel, débutant par la sublime “Afraid Of Nothing” avant de passer aux déclarations “Your Love Is Killing Me” puis “I Love You But I’m Lost” pour terminer l’album quelques pièces plus tard avec “Every Times The Sun Comes Up”. Ça parle de soi même et ne nécessite même plus de description, étendez vous confortablement et laissez l’album jouer. En boucle. 3- Swans: To Be Kind Michael Gira avait été clair qu’il ne reformait pas Swans par nostalgie, mais bien parce qu’il avait encore des choses à dire. Trois albums après cette déclaration, il a non seulement fait honneur à sa discographie, mais imposé sa vision à une toute nouvelle génération en construisant deux des albums les plus lourds de sens du rock. To Be Kind est en quelque sorte l’aboutissement de toute sa carrière, touchant à tout ce qu’il a déjà exploré sur un album triple (!) parfaitement balancé et qui passe si rapidement qu’on en voudrait encore. Les performances scéniques du groupe sont elles aussi matière à légende, avec seulement 6 pièces jouées sur près de 2h30 lors du dernier passage dans un National complet. Noir, lourd, parfois planant et toujours pertinent, l’album est un incontournable qui transcendera l’année 2014. 2- Liars: Mess On ne sait jamais où attendre Liars, et c’est d’ailleurs ce qui avait fait troner l’effort de 2012 WIXIW presque au sommet de mon palmarès, mais cette énième réinvention est si réussie qu’elle nous fait presque oublier les incarnations précédentes du groupe new yorkais. Si l’album précédent était pour eux un exercice pour apprivoiser les instruments et sonorités plus électro, ils sont cette fois allés pleine vapeur dans un électro dance presque assumé, tout en laissant libre cours à l’agressivité dont on les sait capable. Le résultat est surprenant, entrainant, mais aussi visuellement impeccable (la tournée, attrapée à Boston, était minimaliste mais quasi-psychédélique dans son utilisation scénique du visuel de la pochette). Un album hybride qui rejoint tellement de publics qu’il est inclassable, mais qui n’est jamais bien loin de la table tournante pour bien des occasions. 1- The War On Drugs: Lost In The Dream Adam Granduciel a pris le monde de la musique par surprise cette année en lançant un album qui a quasi fait l’unanimité, après pourtant deux précédents dont le contenu était passé relativement inaperçu alors que le groupe était surtout connu pour avoir compté l’excellent Kurt Vile dans ses rangs à ses débuts (je ne cacherai pas m’être moi-même procuré leur premier opus WagonWheel Blues il y a des années pour cette simple raison). Il s’est maintenant fait un nom pour lui et même si certains ont voulu l’accuser d’avoir pillé sur la légende de Bruce Springsteen et des vocalises parfois dignes des Eagles, j’avancerai plutôt qu’il est parvenu à accoucher d’une version moderne de ce que les légendaires Dire Straits offraient de mieux à leurs débuts et qu’il n’y a rien de mal à construire un rock unique à partir des bases élémentaires du genre. Le résultat donc? Un album ambiant, truffé de solos et de textes introspectifs, entrecoupé de claviers planants et dont chaque pièce arrive à se démarquer dans un ensemble pourtant parfaitement cohérent. Le passage au Ottawa Folk Fest l’an dernier laisse présager qu’après un an de tournée le groupe est bien “tight” que jamais et nous arrivera probablement avec un effort rock plus assumé pour la suite des choses, mais d’ici là les solos électriques et les finales accompagnées à l’harmonica sur scène en ont fait en quelque sorte le meilleur show de Neil Young que j’ai vu cette année. Longue vie à The War On Drugs, et à cet album dont je (et bien d’autres après vérification) ne me serai jamais lassé de l’année. Considérant la faiblesse de ma capacité de concentration et mon éternelle insatisfaction, c’est déjà un exploit en soi. Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments