Mon petit guide du FESTIVAL BACH Caroline Rodgers 2015/11/22 Concerts, Genres S’il est un événement que j’affectionne particulièrement parmi les festivals montréalais, c’est bien le Festival Bach. C’est là que j’ai entendu quelques-uns plus beaux concerts de ma vie. Cette année, il se déroule du 22 novembre au 17 décembre et sa programmation comprend 26 événements. Je vous propose ici mes « coups de cœur » qui s’adressent tant au mélomane averti qu’au néophyte. Attention : les concerts ou les artistes que je vous propose ne sont pas nécessairement les plus « prestigieux » du festival, mais ceux que je considère les plus susceptibles de nous faire vivre des expériences variées et enrichissantes. Car s’il est une chose que j’ai comprise en fréquentant assidûment les salles de concert, c’est que le prestige n’est pas toujours garant du bonheur musical. L’incontournable Zhu Xiao-Mei C’est une tradition : chaque année, le festival invite un artiste, le plus souvent un pianiste, à interpréter les célèbres Variations Goldberg de Bach, une œuvre chères à mon cœur. Cette année, j’ai encore plus hâte d’y aller qu’à l’habitude, car l’invitée est une pianiste que j’admire à la fois pour sa profondeur comme interprète et sa persévérance extraordinaire en tant qu’être humain. C’est pourquoi j’ai décidé de vous parler d’elle plus longuement. Zhu Xiao Mei, qui est née en Chine en 1949, a été internée pendant six ans dans un camp de travail pendant la Révolution culturelle chinoise, alors que la musique occidentale était interdite et que le piano était vu comme un symbole du capitalisme et de la bourgeoisie. Pendant les trois premières années de son internement, elle ne jouera pas une note. Un jour, elle trouve par hasard un vieil accordéon apporté au camp et elle est saisie d’un désir fou de jouer du piano. Elle parvient à convaincre sa mère de lui faire expédier son piano par train : son plan est de cacher l’instrument dans une cabane non loin du camp! Le piano arrive sur un train de charbon, endommagé. Il manque 20 cordes. Elle le répare comme elle peut et pour le reste, elle imagine les notes manquantes! La nuit, elle se sauve du camp par les latrines et joue. Toute cette aventure et le reste de son parcours difficile – elle n’a vraiment percé comme pianiste qu’à l’âge de 40 ans – sont racontés dans sa biographie, La rivière et son secret, que je recommande. En 2012, j’ai eu le privilège d’interviewer Zhu Xiao-Mei. Elle m’a raconté qu’elle avait commencé à jouer du Bach pour se réchauffer les doigts dans la cabane sans chauffage. « J’ai commencé à en jouer pour cette raison, mais en même temps, je me suis réchauffé le cœur, disait-elle. Bach m’aidait à me calmer, à trouver mon équilibre et mon humanité après avoir été une petite révolutionnaire. Quand, plus tard, j’ai eu la possibilité d’enregistrer, j’ai choisi les Variations Goldberg. On y trouve tous les sentiments humains, sérénité, méditation, courage et humour. » Les Variations Goldberg, composées en 1740, sont un sommet de la musique. Il s’agit d’un thème et variations, c’est-à-dire que le thème (mélodie) est exposé dans la première partie et que les autres parties reprennent ce thème en le déclinant de toutes sortes de façons, le déconstruisant et le reconstruisant selon l’imagination du compositeur. L’une de ses interprétations les plus célèbres sur disque est celle du mythique pianiste canadien Glenn Gould, qui les a enregistrées deux fois. Zhu Xiao-Mei a aussi enregistré l’œuvre à deux reprises et elle l’a jouée en concert plus de 200 fois dans le monde. Elle les jouera de nouveau au Festival Bach, deux fois, soit le 1e et le 3 décembre à 19 h 30 à la salle Bourgie. On pourra également voir un documentaire sur la pianiste et sa vision des Variations Goldberg à l’Institut Goethe, le dimanche 29 novembre, à 11 h et à 13 h. Pour les enfants : Bach Incognito L’Orchestre symphonique de l’Agora, un nouvel ensemble fondé par le jeune chef Nicolas Ellis, verse tous ses profits à des organismes caritatifs. Avec Bach Incognito, programme de concert conçu exprès pour le festival, on souhaite initier jeunes et moins jeunes à la musique de Bach. Tous les revenus du concert seront versés à l’organisme communautaire Partageons l’espoir. Le 28 novembre, 14 h, église St-Andrew et St-Paul, rue Redpath. Pour les sociables : la Nuit des chœurs Autre tradition du Festival Bach, la Nuit des chœurs s’inspire d’une formule allemande. À partir de 16 h jusqu’à 22 h 30, une douzaine de chœurs amateurs de Montréal s’y succèdent pour chanter un répertoire varié à l’église St-Andrew et St-Paul. Pas besoin d’y rester toute la soirée, on peut arriver quand on veut, et repartir quand on veut. Du Glühwein, vin chaud épicé allemand et des friandises sont vendus à l’arrière de l’église. Une vraie fête de la musique, le 28 novembre. Entrée libre, don suggéré. Musique au sommet : à l’Oratoire Saint-Joseph L’Oratoire Saint-Joseph est un lieu fascinant par son histoire unique. Il fait partie du paysage montréalais et tous connaissent sa silhouette bombée, mais combien l’ont déjà visité? Et pas besoin d’être religieux pour le faire, puisqu’on y donne beaucoup de concerts. Chaque dimanche après-midi, 15 h 30, des concerts gratuits pour tous sont une occasion de découvrir l’impressionnant orgue Beckerath de 78 jeux et 5811 tuyaux, avec, en plus, des projections sur grand écran qui permettent de bien voir l’organiste. Dans le cadre du Festival Bach, un concert-hommage à Bernard Lagacé, grand organiste québécois, sera présenté par ses anciens élèves (avec un petit coût d’entrée). Il sera animé par Gilles Cantagrel, musicologue et éminent spécialiste de Bach. Le 29 novembre, 15 h 30. Pour les curieux : Noh Bach J’ai entendu – et parfois vu – la musique Bach apprêtée à toutes les sauces : en version jazzée, avec des danseurs de breakdance, du ballet, des projections lumineuses ou des dessins animés. Les puristes critiquent ces approches iconoclastes, jugeant que la musique géniale du grand compositeur devrait se suffire à elle-même. Il est vrai qu’elle peut se passer d’artifices. Mais dans la vie d’un mélomane, les concerts qui sortent ainsi des sentiers battus sont une occasion de redécouvrir les œuvres aimées sous un autre jour, et même si ces expériences ne sont pas toutes réussies, elles ont le mérite d’être audacieuses et de tenter de repousser les frontières de l’art. De plus, le fait d’avoir un soutien visuel grâce à des danseurs ou des images permet aux nouveaux venus d’apprivoiser plus facilement des œuvres parfois austères. Dans cette veine, l’idée d’associer du théâtre Nô, tradition japonaise remontant au XIVe siècle, au Clavier bien tempéré de Bach est l’une des propositions les plus étranges que j’ai vues. Le claveciniste Frédérick Hass et Masato Masuura, maître du théâtre Nô, interpréteront ensemble une douzaine des Préludes et fugues du Clavier bien tempéré le 2 décembre à 19 h 30 à la salle Bourgie. Voici Hass jouant une autre oeuvre de Bach, English Suite 3. Daniel Dennett et Serhiy Salov : science et musique Daniel Dennett est un chercheur en sciences cognitives et un philosophe des sciences américain bien connu. Il présentera une conférence (en anglais) intitulée « From Bacteria to Bach and Back » qui partira la théorie de l’évolution de Darwin pour nous amener à la notion de « design intelligent » en compagnie du pianiste montréalais Serhiy Salov qui jouera des extraits musicaux. Un événement qui promet d’être fort stimulant sur le plan intellectuel. Le 5 décembre, 14 h, à l’auditorium Maxwell-Cummings du Musée des beaux-arts de Montréal. Cliquez ici pour vous procurer des billets. Bon festival! Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments