Pendant 10 ans, de 1992 à 2001, et toujours de façon assez imprévisible, Richard D. James, dont le principal pseudonyme est Aphex Twin, a complètement changé le visage de la musique électronique, un impact qui, avec le recul, est comparable à celui de Kraftwerk 20 ans auparavant. Certains lecteurs auront sûrement envie d’être en désaccord avec moi, ici, mais je persiste et signe (salut, Achille Talon!). 

De Didgeridoo, son premier «hit» qui semblait provenir d’une autre galaxie — l’expérience de la première écoute de cette pièce qui ne ressemblait à rien est indélébile pour tous ceux qui l’ont vécu à l’époque — jusqu’à «Drukqs», son dernier album paru en 2001, il s’est mérité un auditoire d’inconditionnels parmi les plus fidèles.

Ce n’est pas peu dire, d’autant plus que sa musique n’est pas fondamentalement facile d’approche et parfois même carrément rébarbative.

Il faut tout de même noter qu’on a vraisemblablement affaire ici à un véritable génie de son domaine, puisque l’un de ses albums les plus importants, «Selected Ambient Works 85-92», laisse entendre, si les dates dans le titre sont véridiques, qu’il aurait commencé à composer et réaliser de la musique électronique à l’âge de 14 ans. Un ami affirme même qu’il a déjà assisté à des sessions de création alors que James n’avait que 12 ans.

Depuis 2001, donc, rien: pas de nouveau Aphex Twin à se mettre sous la dent, sinon quelques simples ci et là sous différents pseudonymes, mais on savait que c’était en fait de vieilles pièces qu’il publiait au gré de ses envies.

APHEX TWIN SYROSelon des propos livrés dans une entrevue accordée au magazine Rolling Stone, une partie de cela était dû au fait qu’il est devenu père — ses fils ont 6 et 8 ans aujourd’hui —, ce qui lui laissait moins de temps pour se consacrer à la création.

C’est d’ailleurs le cas des pièces de ce nouveau «Syro», des pièces composées et enregistrées à différents moments au cours des dernières années, le principal intéressé demeurant vague quant à la chronologie de tout ça.

Une chose que l’entrevue de Rolling Stone nous apprend, c’est que la vente aux enchères d’un album inédit de son pseudonyme Caustic Window — qui a récemment été acquis sur eBay pour la coquette somme de 46 300$ et par nul autre que le créateur du populaire jeu vidéo «Minecraft», ainsi qu’un projet de sociofinancement qui a ensuite été mis sur pied sur le site Kickstarter afin que cet album soit offert au grand public, une campagne qui a amassé 67 000$ —, a fouetté le musicien et lui a redonné envie de partager ses créations.

Mais venons-en à «Syro»: la première «vraie» écoute est surprenante.

Je dis «vraie» car il y a bien sûr eu des fuites de l’album sur Internet, mais James est un fin renard et je le soupçonne d’être derrière ces fuites d’un faux «Syro» plutôt décevant il y a environ un mois.

Mais le vrai album, comme je disais, est surprenant au premier abord, car bien qu’on reconnaisse tout de suite l’imprimatur Aphex Twin, ce qui frappe c’est à quel point les pièces de cet album sont funky en comparaison à ses productions marquantes qui avaient toutes un aspect plus ou moins mécanistique.

Oh! le funk a toujours été présent, mais on sentait une retenue — une gène? — de le laisser s’exprimer plus. Je suis tenté de dire que c’est, ici aussi, l’apport de la paternité qui l’a libéré de cette gène. J’en veux pour preuve le quatuor d’ouverture de l’album, soit minipops 67 [1202][source field mix], XMAS_EVET10 [120] [thanaton3 mix], produk 29 [101], et 4 bit 9d api+e+6 [12626]. Juste dans les titres des pièces, vous voyez ce que je veux dire quand je parle d’une certaine inaccessibilité…

Même la pièce suivante, 180db_ [130], bien qu’elle soit une transition entre le funk des précédentes et ce qui suit, a un groove quasi dansant.

Toutefois, en deuxième moitié d’album (la face B?), on se trouve en terrain plus familier, plus près du canon Aphexien classique; des rythmes plus syncopés, des mélodies qu’on peut difficilement qualifier comme telles, des ambiances à la fois glauques et lumineuses, bref, une sorte de voyage où le génie nous convie à prendre place à bord d’un de ses neurones afin d’essayer les manèges tous les plus fous les uns que les autres qui peuplent Aphexland — imaginez La Ronde dans la 11e dimension et sur l’acide…

Puis, autre surprise, la dernière pièce de l’album, intitulée aisatsana [102], est un morceau solo piano de 5:22 avec des bruits d’oiseaux en arrière-plan. Ce n’est pas Alain Morrisod et ses oiseaux qui chantent, mais pas loin. Ne vous inquiétez pas, on est quand même plus près de Gonzales que de Morrisod!

Il faut noter que, comme c’est presque toujours le cas, la copie japonaise comporte une pièce additionnelle qui n’est certes pas piquée des vers:

Richard D. James est-il de retour pour de bon? Selon ses propos, il a en tête de publier encore au moins deux autres albums et des simples, notamment de matériel un peu plus orienté sur les dancefloors…

Vos prières ont semble-t-il été exaucées, disciples d’Aphex!

Le clou du spectacle selon Monsieur SebXMAS_EVET10 [120][thanaton3 mix], loin devant toutes les autres, mais dans l’ensemble un album remarquable.

APHEX TWIN SYRO

APHEX TWIN
Syro
(Warp, 2014)

-Genre: électro pur et dur aux multiples influences
-Dans la même veine que AFX, Caustic Window, Polygon Window, Analord, bref tout ce que Richard D. James fait et qui est dans une classe à part, sinon, on est assez proche de Squarepusher et Autechre, des compères du label Warp.

Lien d’achat: Bleep.com

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APHEX TWIN - SYRO: le retour de l’APHEX prodige
Originalité90%
Authenticité90%
Accessibilité50%
Direction artistique95%
Qualité musicale90%
83%Overall Score
Reader Rating: (1 Vote)
90%

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Blogueur - RREVERB
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Baptisé par Pink Floyd, ses parrains sont Bach et les Stones. DJ depuis 1984, batteur autodidacte, producteur de musique électronique depuis 2000, Monsieur Seb a été chef de la section culturelle chez Canoë pendant près de 10 années. Il collabore également sur Archipel Magazine, le blogue — et bientôt magazine imprimé — du label électronique montréalais Archipel.