Bien qu’il s’agisse pour eux de l’album du « temps sucré » (ce que signifie le titre de l’album), « Zuckerzeit » fait probablement de Cluster l’une des formations les plus spatiales de tous les temps. Là où certains groupes tels Pink Floyd se réclamaient de l’espace volontairement vue leur utilisation de toute nouvelle technologie qui leur passait entre les mains, Cluster a fait de l’infini intersidéral une esthétique, un élément constitutif de leur son plutôt qu’un simple outil au service du psychédélisme. Tout ce que l’espace suppose y est : le sentiment d’apesanteur, les choses qui se déplacent en toute fluidité, et un côté obscur qui relève du malaise, du froid des lieux où la lumière peine à se rendre. Hans-Joachim Roedelius, Michael Rother (au centre, co-producteur de l’album, guitariste du mythique groupe NEU!, et collègue de ces messieurs au sein de la formation Harmonia), Dieter Moebius. Ceci ne veut surtout pas dire que « Zuckerzeit » tombe dans la catégorie des œuvres expérimentales hermétiques et arides; bien au contraire, le duo Dieter Moebius / Hans-Joachim Roedelius vient rétablir la balance avec une douce naïveté qui traverse tout l’album. Que l’on écoute les sons qui accompagnent le rythme martelé et motorique de Caramel ou les guitares désaccordées de James, l’approche ludique de leurs instruments et leur façon de traiter les sons apportent une fraîcheur bienvenue qui confère à leur musique authenticité et unicité. Les mélodies elles-mêmes sont d’une simplicité désarmante : Hollywood, à la fois pièce d’ouverture et plat de résistance du disque, n’a qu’un seul rythme qui se fait et se défait sans cesse, la ligne mélodique se contentant d’en épouser les contours pour laisser le champ libre à tout un faisceau d’effets sonores qui n’en propulsent la pièce que plus loin encore à la fois dans son espace sonore et dans l’imagination de l’auditeur. Fotschi Tong, obéissant au même principe, laisse encore plus d’espace aux effets, nous laissant entrapercevoir la conception qu’une machine ou un robot pourrait se faire de la beauté. Abstrait? Certes, mais « Zuckerzeit » ayant le chic de rallier les contraires et d’en déjouer les écueils, il s’avère plus sage de le décrire en images plutôt qu’en plaquant dessus des mots et des concepts. Notons, au passage, la brièveté des pièces; ceci n’a rien d’exceptionnel en soi, mais l’Allemagne de la fin des années soixante et des années soixante-dix ayant un penchant pour les longs jams improvisés et les explorations cosmiques à durée indéterminée,« Zuckerzeit » et ses courtes pièces réussissent l’exploit d’offrir un parfait condensé du versant « kosmiche » de la musique germanique d’alors: Rote Riki, pièce la plus longue de l’album du haut de ses six minutes, en représente l’exemple le plus juste. On retrouve plutôt ce goût pour l’exploration infinie dans toute sa splendeur lorsqu’on considère le disque dans son ensemble, l’extrême cohésion des pièces et les ambiances très proches formant un tout qui dépasse, ultimement, la somme de ses parties pour en faire une unité autonome tout en n’étant pas un album concept. D’une écoute à l’autre, différentes pièces retiennent notre attention, mais l’atmosphère demeure inaltérable et constitue le point d’ancrage de l’auditeur. Chef-d’oeuvre ambiant, pionnier de l’électronique (les « drum machines » sont ici à l’honneur dans toute leur glorieuse primitivité), proto synth-pop, coup de sonde « spaced-out » dans l’avenir – tout ça, et plus encore, dans cet excellent opus de l’intelligent duo Cluster, le tout relevé de la parfaite quantité des épices caractéristiques qui ont fait l’excellence des chefs-d’oeuvre des folles années soixante-dix en Allemagne. Si ça, ça n’est pas du bonbon, c’est très certainement sucré. CLUSTER Zuckerzeit (Brain, 1974) -Genre: krautrock, kosmische muzik. -Dans le même genre que: NEU!, Harmonia, Tangerine Dream, Brian Eno, Silver Apples. Lien vers l’achat en ligne (Discogs) Page de Hans-Joachim Roedelius Page de Dieter Moebius Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments