Expérimentations en mode one-man-band avec DEUTER Guillaume Cloutier 2016/06/04 Albums, Genres Bien connu pour sa longue et prolifique carrière du côté de la musique nouvel-âge, Georg Deuter est également présent dans le canon du krautrock, débutant avec « D » une carrière qui semblait plutôt vouée à voisiner davantage avec Tangerine Dream, Klaus Schulze et Cluster qu’aux côtés de Yanni et Deva Premal dans les bacs des disquaires. Ce changement stylistique ultérieur trouve pourtant ses racines ici, tapi sous l’expérimentation sonore, les guitares électriques et les manipulations de bandes qui confèrent à cet album sa place dans le vaste univers de la musique allemande underground des années soixante-dix. L’atmosphère méditative, la création de paysages sonores au lieu de compositions à structure figée, de même que l’utilisation du sitar et du tamboura qui va beaucoup plus loin que leur simple insertion au détour d’un riff rock sont les véritables forces à l’oeuvre ici, Deuter mettant tout en œuvre pour enregistrer un disque planant d’un bout à l’autre, et traversé d’une touche ésotérique qui y imprime un vernis de mystère. Déjà, avec Babylon, la mystique interne de « D » est en branle : apparaissant comme un mirage, elle jumelle le déroulement d’un raga à des sous-titres issus de la musique classique occidentale, mêlant davantage les codes en utilisant le studio à sa pleine capacité et une foule d’effets pour ériger une structure musicale hétéroclite et ambitieuse qui demeure solide jusqu’au bout. Après l’interlude presque rock et un détour du côté des hautes fréquences avec Der Turm / Fluchpunkt, Deuter revient à la charge avec son humour sémantique et surréaliste avec Krishna Eating Fish and Chips. Ce morceau hypnotisant utilise un accompagnement statique au tamboura, créant un environnement où tout fait du sur-place hormis un sitar, lequel explore tous les motifs que Deuter a pu imaginer pendant que l’auditeur est confortablement installé en apesanteur. Difficile d’apposer une étiquette du genre « chanson », « mantra » ou même « raga »; le mouvement harmonique étant ici réduit au minimum, l’axe mélodique de la pièce ne peut que parcourir le même chemin à jamais, l’ingéniosité et la musicalité de Deuter transformant ce qui aurait pu être une longue expérimentation se mettant vite à tourner en rond en instantané se penchant avec succès sur les aspects spirituels et les qualités méditatives au cœur même des préoccupations de la musique classique indienne (dont Deuter approfondira plus tard sa maîtrise lors d’un long séjour dans un ashram). Le reste de l’album bascule définitivement dans les zones les plus radicales et sombres de « D », Atlantis émergeant littéralement des eaux pour montrer quelques fragments de sa grandeur de jadis aux auditeurs avant de sombrer à nouveau, les sons d’eau et le traitement par des effets sonores bouillonnants laissant l’impression d’avoir aperçu, en rêve ou au détour d’une marée basse, quelques visions fugaces du continent perdu. Gammastrahlen-Lamm clôt le disque sur le même ton que le morceau précédent, mais sans les qualités narratives et dramatiques de celui-ci, Deuter abandonnant les instruments à proprement parler pour se replier sur les synthétiseurs, les textures sonores et les bourdons, centrant son attention sur la pulsation et la répétition pour clore le disque dans une atmosphère onirique et méditative qui annoncent clairement le virage nouvel-âge qui surviendra deux albums plus loin. Enfin, impossible de passer sous silence la virtuosité de Deuter, car non content d’avoir composé et produit la chose par lui-même, il joue également de tous les instruments que l’on y entend, faisant de « D » le produit dense et ouvragé d’un authentique « one man band ». De la basse au sitar en passant par une myriade de percussions et de moult effets sonores trafiqués en toute élégance au profit des ambiances et du flux narratif de chaque composition, le multi-instrumentiste est ainsi parvenu à marquer chacune d’entre elles de sa touche personnelle; s’il n’y réinvente pas le genre, il a néanmoins réussi à faire preuve, dès son premier album, d’une grande maîtrise de son art et d’une rare capacité à assimiler les styles pour en forger un qui lui est propre. DEUTER D (Kuckuck, 1971) – Genre: krautrock – Dans le même genre que Klaus Schulze, Tangerine Dream, Cluster Lien vers l’achat en ligne (Discogs) Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments