Parmi les gens les plus passionnés par la musique, il y a ceux et celles qui travaillent dans l’industrie: chez les labels, les relationnistes de presse, les promoteurs de concerts, les gestionnaires de salles de concert, les journalistes culturels, etc. RREVERB propose une série d’entrevues avec les artisans passionnés de la musique.
Cette semaine, rencontrons…

ETIENNE TREMBLAY

Quel est votre nom, quel est votre rôle dans l’entreprise musicale où vous travaillez, et depuis quand y œuvrez-vous? D’où êtes-vous et où vivez-vous maintenant?

etienne tremblay machine à mixerJe m’appelle Etienne Tremblay et je suis mixeur, compositeur et formateur indépendant depuis avril 2014. Je suis originaire de Ste-Foy (près de la ville de Québec) et je vis présentement dans la plus belle ville en Amérique du nord, Montréal.

Quand avez-vous commencé à travailler dans l’industrie musicale?

J’ai démarré le Studio CME (fermé depuis 2013) en 2005 avec 3 autres « partners » et je m’occupais de la technique et des formations, mais j’avais déjà quelques projets derrière la cravate…

Parlez-nous de la Machine à Mixer. Le but de l’entreprise, ce que vous y faites concrètement.

Le but de la Machine à Mixer est d’aider les home-studistes de la francophonie à exploiter au maximum le potentiel de leur home-studio. Ça passe par une foule de trucs gratuits sur le mix, le mastering, la prise de son, la composition et tout ce qui peut avoir un impact sur le résultat final. J’ai aussi commencé à produire et vendre des formations complètes depuis juin 2015 pour ceux et celles qui ont le désir de s’accomplir en autoproduction.

La réponse est au-delà de mes attentes: je reçois quotidiennement des messages de gens (amateurs, musiciens, professionnels à en devenir, etc.) pour qui mes capsules et mes formations ont fait une différence dans leur désir et leur plaisir à faire de la production musicale. Je continue bien sûr à faire de la composition, de la production, du mix et du mastering pour des clients en Europe et au Québec. Le mix et le mastering sont mes plus grandes passions, alors j’y mets beaucoup de temps et d’énergie.

etienne tremblay conference

 

Quand avez-vous commencé à aimer la musique?

Depuis aussi longtemps que je me souvienne… On avait un piano à la maison et le premier instrument que j’ai appris à jouer était le violon, vers 10 ans.

À 20 ans, quel était votre rêve (dans le domaine musical)?

Je voulais avant tout avoir une carrière comme auteur-compositeur-interprète et l’apprentissage des techniques d’enregistrement était seulement une forme de filet de secours (merci papa, merci maman… 😉 ). En arrivant à Montréal en 2002, je me suis trouvé un job comme vendeur d’instrument et je passais beaucoup de temps à pratiquer avec mon band, Unipole. Avoir un band avec 5 têtes fortes n’est pas une entreprise facile!! Le band est mort alors que la production d’album commençait à prendre plus de place dans ma vie. Le Studio CME a ouvert ses portes en 2005 et ce fut le début d’une grande aventure!

Avez-vous été musicien/enne? Racontez-nous votre carrière.

Je n’ai pas réellement eu de carrière musicale; je suis un autodidacte, je ne sais pas lire la musique et je n’ai jamais eu le goût de jouer pour les autres… Cela dit, je joue généralement tous les instruments sur les pièces que je produis (pour d’autres artistes). J’ai aussi fait beaucoup de spectacles à Montréal et j’adore faire de la scène, mais je préfère la tranquillité de mon home-studio…

J’ai lancé un album solo en 2010 assez hétéroclite, sur lequel j’avais bossé pendant presque 3 ans… Je l’ai fait tellement en vase clos, en faisant tout moi-même, que c’est rapidement mort… Avoir une carrière musicale, ça veut dire fesser sur le même clou pendant une éternité et j’ai tendance à m’emmerder rapidement lorsque je fais trop souvent la même chose…

 

SUR L’INDUSTRIE MUSICALE

En vivez-vous?

Ça fait 10 ans que je gagne ma vie avec la technique, la formation, la composition.

 

Est-il encore possible aujourd’hui de gagner sa vie dans l’industrie musicale? Que faut-il faire pour y arriver?

Je me suis toujours considéré en marge de l’industrie et c’est probablement pour cette raison que je m’en suis toujours bien sorti. Le plus important est de ne jamais essayer de faire ce que font les autres; il faut trouver LA chose dans laquelle on est bon, on est différent, et aller dans cette direction.

Trop souvent, on essaie de recréer ce qui a fonctionné pour d’autres et c’est exactement l’erreur à ne pas faire. Il y a TELLEMENT de façon de gagner sa vie en faisant ce qu’on aime, s’agit seulement d’être créatif, d’être dans l’action, le concret, et il faut mettre ses peurs de côté. On se projette tous immanquablement dans l’avenir face à certains défis et il faut tout faire pour ne pas vivre les peurs de cet avenir qui n’arrivera peut-être jamais.

Quelle(s) rencontre(s) a(ont) été déterminante(s) dans votre carrière dans l’industrie musicale?

Mes 3 partenaires du Studio CME : Jean-Sébastien Goyette, Pierre-Alexandre Goyette et Jonathan Cabot. J’ai rencontré les deux premiers à mon premier boulot à Montréal (vendeur d’instruments…) et c’est eux, avec Jonathan, qui m’ont proposé de faire équipe pour démarrer le Studio CME. Sans eux, je n’aurais jamais eu la carrière que j’ai eue. Je n’aurai jamais eu, à l’époque, l’organisation nécessaire pour démarrer seul une entreprise et en travaillant avec eux, j’ai pu me concentrer sur la technique et la création.

Qu’aimez-vous dans votre emploi / occupation actuelle?

La liberté et le contrôle total sur ma vie. Je travaille quand je veux, comme je veux et j’ai du temps. Attention! Je travaille probablement plus que la moyenne des gens et j’ai dû faire beaucoup de sacrifices pour arriver où j’en suis, mais ce qu’il y a de beau avec l’expérience, c’est que tout est plus facile et rapide à faire… On actuellement accès à des outils de malade, autant du côté de la création que du développement d’affaire. Quelqu’un de débrouillard peut arriver à tirer son épingle du jeu avec presque rien (mais en travaillant beaucoup!). C’est une époque vraiment extraordinaire.

etienne tremblay en studio

Que changeriez-vous de l’industrie musicale d’aujourd’hui?

Mes intérêts sont surtout techniques: il faudrait que toutes les plateformes offrent une expérience sonore dont l’impression de volume serait normalisée. Autrement dit, que l’on soit sur YouTube, Spotify, Vimeo, Google Play, iTunes, etc, on aurait le même volume d’écoute, peu importe la source. C’est tout à fait possible et même assez simple à mettre en place. Ça rendrait la compression dynamique abusive inutile et on reviendrait à des enregistrement avec plus de vie et de dynamique. Youtube a d’ailleurs mis en place en décembre 2014 un algorithme qui réduit le volume des vidéos dont l’audio est abusivement compressé et fort… C’est un pas dans la bonne direction!

Quel grand rêve n’avez-vous pas encore accompli?

Aller dans l’espace. C’est un rêve qui m’obsède depuis toujours…

Le vinyle, la cassette, le CD ou le digital?

Le numérique est la voie inévitable à suivre. Aucun autre avenir n’est réellement envisageable à long terme. Penser autrement n’est que du pur romantisme…

Ah oui? Pourtant plusieurs affirment que le vinyle sonne mieux que tout autre support.

J’ai justement fait une vidéo sur le sujet qui a beaucoup fait réagir! J’y compare le vinyle au CD :

 

 

Les gens sont super émotifs quand vient le temps de parler de vinyle! On ne peut pas dire que le disque vinyle sonne mieux que tout. Techniquement, le CD est un support beaucoup plus performant que le vinyle : la réponse en fréquences est plus étendue, le bruit de fond est quasiment inexistant et il est beaucoup plus facile d’en faire une lecture fidèle et constante, d’un contexte d’écoute à l’autre. Ce qui a changé avec le CD, c’est la façon de faire le mastering. Je vous suggère une vidéo de Bob Katz – une sommité dans le monde de l’audio – qui explique l’évolution des pratiques de mastering.

En bref, avec la venue du numérique, du lecteur CD, du iPod et de nouveaux outils pour augmenter le volume (au détriment de la dynamique), on s’est mis à masteriser les albums de plus en plus forts. Un des points culminants est l’album Californication, des Red Hot Chili Peppers : le niveau de distorsion harmonique est ultra élevé et la dynamique, inexistante. Ça rend l’album assez désagréable à écouter dans un bon système… C’est, entre autres, pour cette raison que les gens sont retourné au vinyle, parce que la musique a plus de dynamique et est représentée de façon plus naturelle.

 

Ensuite, il y a le fait de se réapproprier le rituel : prendre le vinyle, le mettre sur la table, mettre l’aiguille, s’assoir pour écouter la face A, se lever pour tourner le vinyle, etc. Aussi, l’inexistence de hautes fréquences au dessus de 16kHz est aussi souvent perçue comme étant la « chaleur » du support… Ça en revient encore à des questions de romantisme. Ce que je trouve paradoxal, c’est que dans les salons d’audiophiles, on retrouve presque uniquement des tables tournantes et non des lecteurs numériques haute définition! Mais il faut dire qu’on réussit dans ces salons à vendre des câbles d’alimentation à 3000 $ (bonjour le placebo!), alors il ne faut pas s’en étonner…  Notre perception du son est extrêmement influencée par nos appréhensions : si on pense que ça va mieux sonner, ça va mieux sonner. Quand on sait ça, on part avec une petite coche d’humilité en plus, parce que personne n’est insensible l’effet placebo! Moi le premier!!!

Ce petit film par Noisey explique un peu le buzz, la magie du vinyle. Comme vous l’expliquez, ce n’est pas une question de qualité sonore que de rituel et de chasse à la pièce de collection.

 

Quel est votre casque d’écoute préféré?

J’utilise au quotidien un BeyerDynamic DT 990 pro que j’aime bien; ça m’a pris un temps avant de m’y habituer, les hautes sont un peu edgy lorsqu’il est neuf… Mais il est confortable et le fait qu’il est ouvert rend sont utilisation agréable sur de longues durées. Je teste présentement trois casques Grado: le PS500e, le SR80 et SR325e, qu’on m’a prêtés pour un certain temps. Les écouteurs Grado sont faits à la main à New York… Le PS500e est vraiment extraordinaire, mais on est dans une tout autre gamme de prix que le DT 990.

Les basses du PS500e sont vraiment impressionnantes! Elles sont peut-être un peu trop présentes, mais l’enveloppe est vraiment magnifique. Les mids et les hautes sont vraiment “in your face” et c’est vraiment cool pour la pop… mais il faut que je continue à les apprivoiser! Ça prend toujours un temps avant de s’habituer à une nouvelle référence sonore…

Le PS500e, de Grado

Le PS500e, de Grado

Cela dit, je n’ai pas d’allégeance à une marque ou un modèle en particulier! J’ai d’ailleurs longtemps utilisé un Shure SRH840 jusqu’à ce qu’il brise… c’est un excellent casque fermé, un des meilleurs dans sa gamme de prix.

SUR LES ARTISTES ET LA MUSIQUE

Vos styles de musique préférés? Est-ce que ç’a toujours été le cas dans votre vie?

J’aime beaucoup le mélange du vintage avec le moderne, un peu comme ce que fait Beck, Daft Punk, Mark Ronson… Tout ce qui allie intemporalité et modernisme. Mes oreilles sont assez vagabondes… Je n’aime pas lorsque le style musical prend le dessus sur l’originalité, comme dans la musique latino (samba, meringue, etc), le métal, le punk rock et bien d’autres… Je préfère la musique un peu plus métissée. Ceci dit, comme beaucoup de gens qui ont vécu leur adolescence dans les années 90, j’ai écouté une tonne de grunge: Nirvana, Pearl Jam, Alice in Chains, etc.

Sur une île déserte, vous emmèneriez ces 5 albums (pas plus).

Beck : Mutations
Daniel Lanois : Shine
Peter Gabriel : US
Justin Timberlake : Futursex / Lovesounds
Daniel Bélanger : Quatre saisons dans le désordre

Si vous voulez connaître encore plus d’albums qui m’ont marqués, j’ai justement écrit un article de blog à ce sujet.

Playlist!

 

Quel est l’artiste le plus sympathique que vous ayez rencontré?

J’ai travaillé avec tellement de gens sympathiques que c’est difficile d’en nommer un en particulier! Rapidement, je pense au duo de musique contemporaine Mad/Mod, pour qui j’ai fait l’enregistrement et le mixage de leur premier album. Ce sont deux intellectuels avec un humour vraiment disjoncté et parfois un peu gore… Que du plaisir en studio!!!

Qu’est-ce qui rend un artiste désagréable? Pouvez-vous raconter une situation que vous avez vécue?

Ce qui m’énerve, c’est quand un artiste demande un avis sans réellement avoir envie d’entendre la réponse. C’est typique de l’artiste qui cherche l’approbation, mais n’est pas prêt à faire face à la réalité. La relation avec un artiste est aussi sacrée que celle d’un patient avec son médecin, alors je préfère ne pas donner d’exemple!

Quel artiste brillant aurait dû percer davantage, selon vous?

Il y a un artiste montréalais qui pourrait avoir une carrière ÉNORME s’il savait s’organiser et s’entourer des bonnes personnes : Tomas Jensen. Le mec, c’est un vrai artiste, avec le talent, la flamme et le charisme.

Qui aimeriez-vous rencontrer?

Peter Gabriel ou Daniel Lanois. Les deux en même temps et je peux mourir le lendemain.

Merci Étienne!

Pour en savoir plus sur les activités de la Machine à Mixer, cliquez sur le logo ci-dessous.

et consultez sa chaîne YouTube où se retrouvent d’excellents conseils

la machine à mixer

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About The Author

Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.