Avant même d’avoir déballé une copie de « Song For My Father », du Horace Silver Quintet, on devine qu’on s’apprête à plonger dans un univers certes jazz, mais la couverture laisse présager des saveurs exotiques et inattendues. L’homme souriant et à l’expression satisfaite qui orne la pochette (nul autre que le père de Silver, John Tavares Silver, lui-même un musicien natif du Cap-Vert) n’annonce pas les excursions free ou funk qui marqueront le jazz dans les années suivantes, mais plutôt un heureux mélange de divers styles à la groove et aux structures du jazz.

Cette impression se confirme rapidement à l’écoute de la pièce-titre de l’album, dont les accents de bossa nova sont manifestes dès lespremières notes du piano, mais ce sont les cuivres qui font une entrée remarquable, le thème impérissable étant interprété avec majesté par la trompette et le saxophone. Le résultat est un sentiment de grandeur et d’élégance qui donne le ton à l’ensemble de l’album, mais le succès de cette pièce ne s’arrête pas à son thème inoubliable : les solos de Silver et de Joe Henderson se complètent à merveille, la réserve et la finesse du piano étant suivis de l’audace et du tranchant du saxophone de Henderson sans jamais perdre la groove tranquille caractéristique de Song For My Father.

The Natives Are Restless Tonight, avec son tempo plus rapide et le sentiment d’urgence sous-jacent du thème et des solos, revêt des allures de western-spaghetti traité à la sauce bop. Difficile de dire si Horace Silver avait ce genre d’idée pour nourrir son inspiration ici, mais la musique évoque une poursuite que le titre ne manque pas d’associer aux cow-boys et aux indiens typiques des histoire de la conquête de l’Ouest, créant du coup une pièce pressante et hautement narrative sans qu’une seule parole ne soit chantée.

Calcutta Cutie, à l’exception de quelques sections résolument plus swinguées, nous fait quitter le Far-West pour l’Inde, le groupe déployant ici tous les artifices à leur disposition pour nous plonger dans le raffinement et la langueur d’un Orient idéalisé. Cymbales à doigts et gammes exotiques sont à l’honneur, le quintette évitant les clichés possibles tout en cultivant une ambiance mystérieuse qui n’en rend le morceau plus captivant.

Qué Pasa poursuit dans le même veine avec son atmosphère feutrée, mais sans jouer la carte de l’Orient, et les choses reviennent en territoire jazz avec The Kicker, dont le rythme complexe en a fait un standard dès sa parution. Cette composition haletante est suivie de Lonely Woman, Silver terminant son album tout en blues, en délicatesse et presqu’en solo, la contrebasse et la batterie fournissant un accompagnement minimal et plus atmosphérique que rythmique, et sans aucun instrument à vent. On n’en ressent que davantage la solitude du titre, l’absence de tout instrument mélodique mettant en évidence le piano et la riche palettes d’émotions du jeu de Silver.

 Au-delà de la qualité du jeu des musiciens et de l’enregistrement, le perfectionnisme notoire d’Horace Silver aura fait de « Song For My Father » un album particulièrement homogène, mais sa réalisation ne s’est pas faite de façon aussi fluide. Deux quintettes apparaissent sur le disque : Silver, insatisfait des versions enregistrées par le premier qui le suivait depuis des années, a choisi de le démanteler pour en former un nouveau.

Un an plus tard, ayant assemblé son nouveau « dream team », le groupe a finalement bouclé l’enregistrement des pièces, Silver ne retenant que Calcutta Cutie et Lonely Woman des session antérieures. Le résultat : un disque au son entier et à la cohérence impeccable. Si on ne le savait pas grâce aux notes qui ornent la pochette de l’album, on pourrait facilement prendre pour acquis qu’il s’agit du travail d’un seul quintette bien rodé.

« Song For My Father » est, somme toute, un mariage raffiné du swing émanant du jazz modal et du hard bop à divers rythmes et sonorités venus d’ailleurs. Réalisé de main de maître avec les meilleurs éléments possibles, ce mélange rehausse les mélodies sans sacrifier leur « catchiness », insufflant une sensation de classe à chaque morceau. Un classique à mettre définitivement entre toutes les mains.

silver cover 150

 

 

 

 

HORACE SILVER
Song For My Father
(Blue Note, 1964)

– Genre: jazz
– Dans le même genre que Grant Green, Kenny Burrell, Blue Mitchell, Herbie Hancock

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Blogueur - RREVERB

Non content d'être un boulimique du rock, un obsédé du jazz, un fervent du saxophone et un adepte du 'crate digging' avec un oeil toujours tourné vers les musiques du monde, Guillaume s'adonne également à l'étude de la musique, et passe ses temps libres à l'enseigner et à en jouer avec son groupe de rock psychédélique Electric Junk.