Pour ma première tentative dans notre série Les Grands Crus, j’ai choisi de vous parler d’un album tout aussi obscur qu’important. Enfin, obscur si vous n’êtes pas dès le départ un fan de musique électronique et/ou de Krautrock

Je vous propose un lien YouTube de l’écoute intégrale de l’album d’entrée de jeu afin que vous puissiez vous en imbiber pendant la lecture de ce qui suit.

Il s’agit d’un magnifique opus du multiinstrumentiste — mais principalement guitariste — Allemand Manuel Göttsching, surtout connu pour son travail au sein de Ash Ra Tempel et Ashra, aux côtés de Klaus Schulze (brièvement de Tangerine Dream) et Hartmut Enke. Bon. Voilà pour le pedigree…

«E2-E4» était en fait le premier album solo enregistré par Göttsching fin 1981, mais paru seulement en 1984.

L’album consiste en une seule longue pièce de près d’une heure (58:40) sous-divisée en 9 mouvements (Quiet Nervousness / Moderate Start / And Central Game / Promise / Queen a Pawn / Glorious Fight / H.R.H. Retreats (With a Swing) / And Sovereignty / Draw).

La légende voudrait que la pièce finale, que l’on peut entendre sur CD, ait été enregistrée en une seule prise et, qui plus est, largement improvisée. Cela est difficile à vérifier, mais amusez-vous à le Googler…

Cet opus est surtout un incontournable, car c’est, après l’oeuvre de Kraftwerk, sans aucun doute l’album qui a eu le plus grand impact sur toute la musique électronique qui a suivi, et ce, dans tous ses styles les plus variés, que ce soit la musique plus ambiante de The Orb ou la House et la Techno la plus «dancefloor-oriented».

Petite note, en passant, pour les gens qui sont moins habitués avec la Techno dans son sens le plus large. Un des pionniers du genre, «Magic» Juan Atkins, de Détroit, a un jour décrit en ces termes ce qu’était la Techno:

«Imaginez ce qui arriverait si Parliament/Funkadelic et Kraftwerk étaient coincés dans un ascenseur pendant quelques heures»… 

Personne n’a jamais si bien décrit le genre avant ou depuis…

On nage, bien entendu, en eaux très répétitives, mais tout est pourtant en constante évolution pendant toute l’heure que dure «E2-E4».

C’est vraiment dans la seconde moitié de cette symphonie minimaliste que les choses deviennent vraiment superbes, tandis que Göttsching ajoute sa guitare au choeur d’instruments électroniques composé d’une boîte à rythmes et de tout au plus deux ou trois synthés (Il n’existe pas de détails précis sur les instruments utilisés, mais à l’oreille, il ne peut pas vraiment y en avoir plus).

Si vous êtes curieux à propos du titre, il fait référence — comme vous l’aurez peut-être deviné par les titres des mouvements — aux échecs (le jeu, pas l’incapacité de réussir).

En effet, dans la notation traditionnelle de déplacements des pièces, E2-E4 est le coup d’ouverture le plus commun où le pion blanc devant le roi (colonne E, rangée 2) avance de deux cases (colonne E, rangée 4). Ça donne ceci:

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Toutefois, Wikipédia nous apprend que cela fait également référence à la façon dont sa guitare est accordée pour le morceau, soit du mi du 2e octave au mi du 4e, en partant de la plus grosse corde à la plus petite (le mi étant E, en notation anglophone).

Je conviendrai que l’album n’est peut-être pas facile d’accès à la première écoute, surtout pour les gens moins habitués à la musique répétitive, mais les amateurs de Philip Glass, Steve Reich, et consorts seront tout de suite en terrain familier.

Je ne peux que vous encourager à donner à «E2-E4» quelques essais, car je vous garantis que c’est un de ces albums qu’on apprend à aimer inconditionnellement avec le temps.

Au-delà de toutes les considérations énumérées ci-dessus, c’est un de mes albums préférés pour travailler. Sa répétitivité a quelque chose d’hypnotisant qui favorise, à mon avis, une très grande concentration. Pourtant, les variations qu’il contient sont propices à une pensée créative, car elles évitent à votre processus de réflexion de tomber dans une boucle d’où rien de nouveau n’émerge.

Bref, pour moi, il s’agit d’une véritable petite merveille que personne ne pourra jamais égaler, même s’il ne s’agit pas pour autant d’un «Dark Side of the Moon», d’un «Selling England by the Pound» ou d’un «Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band» (et qu’on se le tienne pour dit, à mon avis le meilleur album des Beatles c’est l’Album Blanc).

En boni, voici une entrevue de 10 minutes réalisée par FACT Magazine où l’artiste explique brillamment non seulement la genèse de cet album incontournable, mais également celle de toute la musique allemande de l’après-guerre…

J’espère très sincèrement que j’aurai pu faire aimer cette oeuvre majeure à au moins un d’entre vous, chers lecteurs.

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MANUEL GÖTTSCHING
E2-E4
(Inteam, 1984)

-Genre: Krautrock, musique électronique hypnotisante, minimaliste
-Plaira aux amateurs de Philip Glass, Steve Reich, The Orb, ainsi qu’aux exégètes du Techno

MANUEL GÖTTSCHING - E2-E4
Originalité95%
Authenticité95%
Accessibilité60%
Direction artistique90%
Qualité musicale95%
87%Overall Score
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Blogueur - RREVERB
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Baptisé par Pink Floyd, ses parrains sont Bach et les Stones. DJ depuis 1984, batteur autodidacte, producteur de musique électronique depuis 2000, Monsieur Seb a été chef de la section culturelle chez Canoë pendant près de 10 années. Il collabore également sur Archipel Magazine, le blogue — et bientôt magazine imprimé — du label électronique montréalais Archipel.