Dès son premier opus, «Five Leaves Left», Nick Drake nous donne tout d’abord un titre qui évoque une fin imminente (la petite histoire nous apprend que ledit titre réfère aux célèbres feuilles des paquets de papier à rouler Rizla, qui annonçaient jadis qu’il ne restait que cinq feuilles dans le paquet). De quoi, quelque quarante-cinq ans plus tard, nous rappeler sa disparition et la remettre en perspective, l’image rendant à la perfection ce que l’on sait du tempérament de cet auteur, compositeur et interprète de génie: dépressif et torturé, mais surtout réservé et effacé, et particulièrement doué pour se volatiliser calmement et sans que nul ne s’en aperçoive, un peu comme les cinq dernières feuilles d’un arbre savent le faire. Prophétique? Clairvoyant? Mise à nu sous de multiples voiles poétiques? Nul ne saurait dire, mais il reste une certitude inébranlable tant d’années après le décès prématuré de Drake: la splendeur à couper le souffle de cet album intime qui invite au recueillement et à la contemplation, se faisant l’écho de ces lieux de solitude qui sommeillent en chacun de nous. Time Has Told Me ouvre le bal en beauté, mettant en place ce cocktail d’émotions caractéristique de «Five Leaves Left»: un charme campagnard, un confort rural qui se voit toujours teinté de mélancolie et d’une certaine langueur. River Man, quant à elle, introduit les orchestrations, faisant basculer la folk simple et dépouillée de Time Has Told Me dans des contrées plus complexes et nébuleuses, mais sans jamais s’écarter de l’esprit du disque. Three Hours, enfin, nous permet de prendre toute la mesure du talent de guitariste de Nick Drake, son jeu leste et son toucher mesuré révélant l’ampleur de ses capacités de musicien. Un peu plus loin sur l’album, Cello Song propose également un jeu étincelant et merveilleusement égal qui rehausse les lignes mélodiques du violoncelle sans qu’un de ces instruments ne vole la vedette à l’autre. Contrairement à beaucoup de folk (actuelle ou non), la voix de Nick Drake ne sonne jamais trop relax, plaintive ou braillarde; elle porte plutôt la marque du caractère introverti et de la discrétion du chanteur, comme s’il tentait de nous chanter par-dessus la musique en craignant de nous déranger ou de briser l’équilibre des instruments. Plusieurs chanteurs se seraient vite mis à tourner en rond en adoptant un chant de ce type, mais dans le cas de Drake, sa voix douce (qui relève presque du souffle à certains moments) et la réserve de l’accompagnement et des arrangements sont les ingrédients dont la fusion constitue son style distinctif. «Five Leaves Left» n’est pas un déversement d’émotions déclinées sur le ton de la confession, mais plutôt une oeuvre intime dont la profondeur, l’intensité et la charge poétique n’ont rien perdu de leur force d’attraction à travers le temps. Ignoré de tous du vivant de Nick Drake (son refus d’accorder des entrevues et son malaise insurmontable face au fait de se produire en concert ne l’ont certes pas aidé), «Five Leaves Left» compte aujourd’hui un nombre sans cesse grandissant d’amateurs, et il figure dans plusieurs palmarès des plus grands albums de tous les temps. De quoi satisfaire, malheureusement trop tard, la mémoire de son créateur dont la mince discographie a l’avantage de ne contenir que des perles. NICK DRAKE Five Leaves Left (Island, 1969) Genre: folk Dans le même genre que: Tim Buckley, Leonard Cohen, Van Morrison, Iron & Wine, Elliott Smith. Lien vers l’achat en ligne (Discogs) Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments