Le rap français a toujours été unique. Si le rock en français (de France de surcroît) n’a pas toujours été convaincant, le rap, lui, utilise la beauté, la richesse et la poésie que permet la langue de Molière bien plus que celle de Shakespeare. On l’a remarqué dès Brassens, Ferré, Gainsbourg, Thiéfaine, Renaud, même Cantat, puis chez MC Solaar, Grand Corps Malade jusqu’aux incendiaires vers de Fauve et Stromae: la langue française permet de transmettre l’intelligence, la sensibilité, la subtilité, des jeux de mots et un deuxième degré lorsque parfaitement maîtrisée. Odezenne (ôde et zen?) est le plus récent exemple d’une plume francophone qui sort de l’ordinaire. Sur une musique électronique parfois volontairement molle (Cabriolet), Alix Caillet, Jacques Cormary et Mattia Lucchini racontent leurs amours blasées. Sur un rythme plus entraînant (Bouche à lèvres), il témoigne de son quotidien où il cherche « l’heureuse d’avant ». Il lance des perles comme « mais qu’il est faux ce bel accord » sur un ton flegmatique à la Alors on danse. Mais on ne danse pas avec Odezenne. On se regarde. On réfléchit. On se dévisage. On plonge dans son spleen. Voici Vilaine. Steak gris, jardin sans vis-à-vis, Grand cru, c’est de l’art c’est banni, Croire que, deux dollars un ami, J’dors peu, j’m’en vais voir le Mali, Glorieux, on dévale on dévie, Ca déborde, y’a du lard on m’a dit, Et je cherche, un glaçon dans ma vie, Te fondre, dans un verre à l’abri. (…) J’suis pris dans un vortex, Il me manque des bouts de texte, Mon alcool colle au sol, Mes semelles s’mêlent au ciel, La blonde onde du corps, Ma tête tète la bouteille, Tellement vu de verres que mes yeux sont devenus verts, D’une liqueur en mal de mer à trop jouer de l’âme dans le cœur. Le clip de cet extrait est intéressant. Cet album est bourré de spleen, de grisaille. La vie n’est pas gaie chez Odezenne. Le béton, les amours brisées, le quotidien, on boit pour oublier (Vodka)… puis arrive une belle brise d’espoir dans Souffle le vent. Tout n’est pas foutu. Pas aussi névrosé que Fauve, pas aussi poète que Grand Corps Malade, pas aussi dansable que Stromae, Odezenne c’est aussi tout ça à la fois. À part Bouche à lèvres, il n’y a pas vraiment de « single » qui se démarque, mais « Dolziger Str. 2 » regroupe 10 solides titres qui expriment une tranche de la France d’aujourd’hui. Alix Caillet, Jacques Cormary et Mattia Lucchini sont des amis d’enfance qui vivent aujourd’hui à Bordeaux. Ils en sont à leur troisième disque depuis leurs débuts en 2008. Le nom du groupe vient de l proviseure du collège qu’ils fréquentaient, Mme Odezenne. Ils appellent leur label « Universeul ». Le nom de leur nouvel album est inspiré de l’adresse de l’appartement qu’ils occupent à Berlin Est, durant sept mois en 2014, dans le quartier de Friedrichshain, au 2 rue Dolziger. Odezenne, c’est trois artistes à découvrir, à condition d’être dans le bon état d’esprit. Si vous avez envie de légèreté et de soleil, ce n’est pas chez Odezenne que ça se passe. ODEZENNE Dolziger Str. 2 (Universeul, 2015) -Genre: poésie urbaine -Dans le même genre que Fauve, Thiéfaine, Grand Corps Malade, Gainsbourg Lien vers la page Facebook de l’artiste Lien vers la chaîne YouTube de l’artiste Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments