Quand vient le temps de présenter le groupe qui figure sur la pochette aux intenses couleurs contrastées de « Vincebus Eruptum », Steve Allen a su le faire mieux que quiconque lors de leur passage à son émission en 1968: « Ladies and gentlemen, the Blue Cheer. Run for your lives! » Même le mélomane le plus hip, qui aurait affronté « Are You Experienced? », « The Velvet Underground & Nico » ou « Fifty Foot Hose » l’année précédente, n’a pas dû réprimer un sursaut lorsque l’aiguille a atteint le premier sillon de Summertime Blues. Là où les trois albums cités plus haut ont ouvert les oreilles et les goûts des auditeurs à de nouvelles sonorités, « Vincebus Eruptum » a imposé les siennes en y allant d’un assaut aussi brutal que direct. À elle seule, la date de sortie de l’album, janvier 1968, en dit long: pas de Led Zeppelin ou de Black Sabbath en vue, le Summer of Love continue de résonner dans l’air, Robert Kennedy est toujours en vie, et les violents affrontements qui marqueront l’année sur divers campus universitaires n’ont pas encore eu lieu. Tout au plus, l’enlisement de la guerre du Vietnam pourrait-il justifier un certain ras-le-bol, mais pas de ce niveau. Seuls les amateurs de certaines franges de la musique expérimentale étaient – peut-être – prêts à encaisser ce disque.