Parmi les gens les plus passionnés par la musique, il y a ceux et celles qui travaillent dans l’industrie: chez les labels, les relationnistes de presse, les promoteurs de concerts, les gestionnaires de salles de concerts, les journalistes culturels, etc. RREVERB propose une série d’entrevues avec les artisans passionnés de la musique.
Cette semaine, rencontrons…

ISABELLE OUIMET

Quel est votre nom, quel est votre rôle dans l’entreprise musicale où vous travaillez, et depuis quand y œuvrez-vous? D’où êtes-vous et où vivez-vous maintenant?

Je suis née Marie Louise Isabelle Ouimet, mais on me nomme Isabelle « Laterreur » Ouimet. Je suis présidente de La royale électrique, agence de promotion et maison d’artistes montréalaise fondée en 2010 et qui tire son nom d’une émission pour enfants des années 1970, The Electric Company, plus psychédélique encore que Passe-Partout. J’ai grandi dans Lanaudière, à Saint-Norbert, connu pour ses champs, son usine de planchers de bois franc et deux géants de la musique québécoise, Jean-Pierre Ferland et Angèle Dubeau. J’habite la « grand’ville » depuis 16 ans maintenant, ce qui m’apparaît être à la fois un jour et une éternité.

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(photo: Marie Mello)

 

Parlez-nous de La royale électrique. D’où est né l’idée, le projet, le financement… Est-ce que ça fonctionne à votre goût? Où voyez-vous La royale dans 5 ans?

La royale est un monstre que j’ai créé par amour pour le marginal et qui me tient par le cœur et par les couilles. C’est une bête qui, soit m’achèvera, soit me permettra de matérialiser mes ambitions les plus insolites. Il est trop tôt pour le dire… Je ne sais pas du tout quelle forme elle prendra dans 5 ans, ni même si elle existera encore, mais je sens qu’elle ne sera pas une agence de promotion encore bien longtemps… C’est sous des traits métamorphosés que je la vois devenir une entité véritablement significative, et ce, avec l’apport d’amis-collègues-partenaires précieux.

Quand avez-vous commencé à travailler dans l’industrie musicale?

C’est l’amour qui m’a mené où j’en suis aujourd’hui ; un beau et brun rockeur qui, en 2004, a eu besoin de mon aide pour la rédaction d’un communiqué de presse annonçant la sortie du premier album de son groupe, ce à quoi je me suis appliquée bien au-delà du mandat, moi qui oeuvrait déjà à l’époque à titre de journaliste culturelle pigiste et de rédactrice-conceptrice dans une agence de relations de presse. Je n’ai plus jamais quitté le merveilleux « monde de la musique ».

isabelle ouimet chante

(photo: Alex Delcourt)

Quand avez-vous commencé à aimer la musique?

À l’école primaire, beaucoup de mes très bonnes amies avaient joint ce que certains appellent un « Drum & Bugle Corps », ce genre d’ensembles musicaux de cuivres, de percussions et de « color guard » que l’on voit s’exécuter sur les terrains de football des universités américaines à la mi-temps. J’ai évidemment chigné pour les rejoindre. Or, quand j’ai réalisé que je ne parviendrais probablement jamais à manier le drapeau et le sabre avec grâce et souplesse, j’ai tenté la trompette.

Mes premiers sons étaient horrifiants, mais je m’y suis fait et… j’y ai pris goût. L’automne de mes 9 ans, pour m’encourager dans ce nouveau hobby, ma mère, femme extraordinaire, m’a abonnée au magazine Jazz & Blues Collection — aux Éditions Atlas —, qui était emballée avec un CD de l’artiste du mois. Le premier numéro rendait hommage à John Lee Hooker. Je me souviens avoir parcouru les pages et les images du dossier sans trop d’intérêt. Mais quand j’ai inséré le CD dans le lecteur et que j’ai entendu les premiers accords de « Dimples », mon cerveau a littéralement explosé. Cette voix d’outre tombe, cette guitare… Tout m’a fasciné.

 

Après cette soirée écoulée le popotin bien assis à terre devant le CD player à écouter les grands titres de ce monument du blues le cœur battant, l’arrivée du dit magazine est devenu un événement… et la musique, un besoin, presque primaire.

À 20 ans, quel était votre rêve (dans le domaine musical)?

À 20 ans, je rêvais de radio, de grands reportages, de fêtes interminables et de rencontres fantastiques. J’épiais les souterrains de la ville à la recherche de sensations musicales fortes et d’histoires. Je me risquais à l’animation de quelques chroniques sur les ondes des radios universitaires et à l’écriture d’articles et de « colonnes » pour des journaux étudiants, mais je rêvais d’avoir un « show » à moi, une émission nocturne qui rassemblerait les fauves dans mon genre et où défileraient les artistes de la contre-culture, buvant de la bière ou du vin à la bouteille tout en discourant de la vie, du rock…

Avez-vous été musicien/enne? Racontez-nous votre carrière.

Depuis mes 9 ans et depuis mon adhésion à ce fameux « Drum & Bugle Corps », j’ai toujours joué. De la trompette, une année ou deux, puis de l’euphonium, longtemps, plus de dix ans en fait et notamment au sein du groupe montréalais stoner Navajo Code Talkers. À 25 ans, j’ai appris à manipuler de la basse. J’en joue avec Buddy McNeil & the Magic Mirrors depuis 2008, et, depuis peu, avec les merveilleuses Vulvettes, groupe de filles de la métropole qui fait, de son propre aveu, dans le « plotte-surf».

à la basse (photo : Marie-Andrée Houde)

à la basse (photo : Marie-Andrée Houde)

SUR L’INDUSTRIE MUSICALE

En vivez-vous?

Je ne vis pas ni n’ait jamais vécu de ma musique, mais je vis de La royale électrique. Je n’en vis pas grassement, mais j’aime, et encore plus aujourd’hui et maintenant, ce que cette boîte devient et ce qu’elle me permet d’accomplir, chaque jour.

Est-il encore possible aujourd’hui de gagner sa vie dans l’industrie musicale? Que faut-il faire pour y arriver?

C’est possible, bien sûr. Mais, il n’y a pas de « recette secrète » pour y aller d’une analogie alimentaire. L’une des seules sources de revenu décentes et stables pour les artistes sont les redevances et donc, ça passe encore beaucoup par la diffusion… radio.

isabelle ouimet cism

Photo prise au FME, où Isabelle animait une émission sur les ondes de CFME (crédit photo: CISM)

Quelle(s) rencontre(s) a(ont) été déterminante(s) dans votre carrière dans l’industrie musicale?

Alors que j’occupais le poste d’attachée de presse pour les événements de l’Équipe Spectra, j’ai eu l’occasion de côtoyer des légendes de la trame de Jane Birkin, Juliette Greco, Brian Setzer, Laurie Anderson, et tous m’ont marqué par leur gentillesse et leur humilité, me redonnant en quelque sorte foi en l’industrie.

Mais c’est véritablement ma rencontre avec Gourmet Délice, de Bonsound, qui maniait à l’époque la basse et les sourcils (son facies était presqu’aussi extraordinaire que son jeu) pour Le Nombre, qui a été la plus déterminante dans ma carrière. C’est ce fou braque à la passion vive et contagieuse qui m’a donné ma première « vraie » chance, en m’offrant un poste chez Bonsound… je lui en serai toujours reconnaissante, ainsi qu’à toute l’équipe que j’ai côtoyée là d’ailleurs, qui m’a beaucoup, beaucoup appris.

 

Qu’aimez-vous dans votre emploi / occupation actuelle?

Avoir la latitude d’être créative et décalée, ne pas avoir de routine, ne jamais faire deux fois la même chose et sentir que je contribue à l’avancement de gens que j’admire énormément.

Quel grand rêve n’avez-vous pas encore accompli?

Je rêve d’être propriétaire d’un bistro diffuseur en région avant mes 50 ans ; un endroit chaleureux où je pourrais vivre pleinement mes quatre vraies passions : la gastronomie, la musique, la nature et les gens.

Le vinyle, la cassette, le CD ou le digital?

Le vinyle. Définitivement.

SUR LES ARTISTES ET LA MUSIQUE

Vos styles de musique préférés? Est-ce que ç’a toujours été le cas dans votre vie?

Le blues et le garage… depuis un sacré bout de temps que je ne préciserai pas pour ne pas trahir mon âge presque vénérable. Ha! Ha!

Sur une île déserte, vous emmèneriez ces 5 albums (pas plus).

John Lee Hooker — Alternative Boogie: Early Studio Recordings 1948 – 1952
Nuggets – Artistes variés — Original Artyfacts from the First Psychedelic Era, 1965–1968
Jim Morrison & The Doors — An American Prayer
CPC GangBangs — Mutilation Nation
Ty Segall — Melted

Playlist!

 

Quel est l’artiste le plus sympathique que vous ayez rencontré?

J’ai eu le grand honneur (et bonheur) de passer toute une journée (et une longue journée) avec Eric Burdon de The Animals alors que je travaillais au Festival international de jazz de Montréal. C’est de loin l’artiste le plus sympathique qu’il m’eut été donné de rencontrer. C’est un cœur en or, un bouffon, un battant, un musicien et un humain extraordinaire.

Qu’est-ce qui rend un artiste désagréable?

Un artiste démesurément envieux et qui peine à s’estimer lui-même, à aimer ce qu’il est, peut devenir très désagréable à long terme.

Quel artiste brillant aurait dû percer davantage, selon vous?

Localement, Jimmy Hunt (Chocolat), mais ça finira par arriver. Internationalement, Jay Reatard, un immense dont la mort prématurée m’a profondément attristé.

 

Qui aimeriez-vous rencontrer?

Je ne suis pas très « fan », malgré le fait que je suis très mélomane. J’ai souvent rien à dire aux légendes que je croise. Ceci dit, je n’aurais pas détester pouvoir prendre un café avec Frank Zappa pour jaser de tout sauf de musique. C’est un étrange qui m’a toujours beaucoup fascinée.

Merci Isabelle!

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About The Author

Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.