L’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) présentait hier soir la troisième représentation d’un programme pour le moins particulier. Le concert avait pour pièces principales des œuvres plutôt différentes. D’un côté, le pianiste Yefim Bronfman interprétait le Concerto pour piano no. 1 de Piotr Ilitch Tchaïkovski. De l’autre, Kent Nagano dirigeait l’hypertrophiée Symphonie no. 4 de l’inclassable compositeur américain Charles Ives. La première est très connue, alors que la seconde est très rarement jouée (c’était même la première fois qu’elle était jouée à Montréal). L’OSM a montré son talent, mais a également eu l’audace de nous sortir de notre zone de confort!

Avant de s’attaquer à ces deux œuvres, l’OSM offrait deux courtes pièces. Exceptionnellement, l’OSM interprétait l’Agnus Dei du Requiem de Gabriel Fauré, en hommage aux victimes des attentats de Paris. L’idée est bonne, et l’exécution est belle et sentie, pleine de dignité. Nagano et l’OSM livrent ensuite une prestation d’un arrangement du troisième mouvement de la sonate pour piano Concord de Charles Ives. Plutôt sans intérêt, l’œuvre se perd entre l’hommage qui la précédait et les deux pièces colossales qui la suivaient.

La curiosité du spectacle est sans contredit la Symphonie no. 4 d’Ives. Compositeur à temps partiel (il a fait fortune avec une compagnie d’assurance-vie), Ives a terminé cette œuvre en 1916, alors qu’il était âgé de 42 ans. Ce sera la dernière œuvre majeure de celui qui a été un pionnier de la musique classique américaine, expérimentant notamment avec l’atonalité et la polyrythmie. Ives n’a jamais entendu cette œuvre de son vivant : la première a eu lieu en 1965, soit 11 ans après sa mort. L’imposant dispositif orchestral nécessite deux pianos, plus de 100 musiciens et deux chefs pour gérer les différents rythmes déployés (Dina Gilbert épaulait Nagano). Dirigé par Andrew Megill, le Chœur de l’OSM était aussi de la partie.

Après une longue présentation des particularités de l’œuvre par Kent Nagano, la Symphonie débute de manière énigmatique, avec le Chœur qui se joint à l’Orchestre. Le deuxième mouvement est particulièrement complexe et déroutant. Les deux chefs sont au pupitre, puisque les musiciens ne jouent pas tous au même rythme. Il y a également deux violonistes et un altiste qui s’improvisent solistes le temps de quelques minutes! On retrouve un esprit de fanfare à plusieurs moments, avec une intensité saisissante. Le troisième mouvement détonne du reste de l’œuvre, alors que les cordes jouent une mélodie majestueuse de manière expressive. Des percussionnistes perchés à la mezzanine se joignent à l’Orchestre pour le finale. La Symphonie va un peu dans toutes les directions, mais les musiciens demeurent alertes et en offrent une bonne interprétation.

Magnifique chef-d’œuvre et sûrement l’un des plus beaux concertos du répertoire, le Concerto de Tchaïkovski nous ramenait en territoire connu pour conclure le spectacle! Tchaïkovski avait 34 ans lorsqu’il a terminé cette œuvre, en 1874. Quand le Russe a montré la partition à son professeur, Nikolaï Rubinstein, ce dernier a jugé le Concerto injouable et l’a violemment critiqué. Rubinstein s’est lui-même plus tard ravisé, et le Concerto s’attire les faveurs du public depuis maintenant 140 ans!

Le pianiste israélo-américain Yefim Bronfman était soliste. L’homme de 57 ans connaît très bien cette œuvre, et il la joue de manière presque parfaite. Sa technique est irréprochable, et il a beaucoup de vigueur et d’aplomb. Il martèle le piano comme on l’a rarement vu, mais il a également une grande finesse. Ces deux extrêmes se manifestent notamment dans le colossal premier mouvement, dont le magnifique thème initial est universellement connu. La beauté de l’œuvre est rendue avec toute la justesse nécessaire. L’OSM, Nagano et Bronfman s’unissent pour nous livrer une superbe prestation.

La publicité entourant ce programme misait sur Bronfman et Tchaïkovski. Ce sont certes les attraits les plus vendeurs. Mais c’était pourtant la Symphonie d’Ives qui demandait les plus grands efforts. En temps, puisque sûrement que la plupart des musiciens ne l’avaient jamais jouée, et en argent, puisque l’OSM devait faire appel à des musiciens surnuméraires pour gonfler l’Orchestre à plus de 100 musiciens. C’était bien de l’entendre et de vivre cette expérience rare, mais ça ne battra pas la beauté et la richesse du Concerto de Tchaïkovski. Il faut tout de même reconnaître la témérité de Kent Nagano, qui s’affaire souvent à programmer des œuvres plus rares.

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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.