Parmi les gens les plus passionnés par la musique, il y a ceux et celles qui travaillent dans l’industrie: chez les labels, les relationnistes de presse, les promoteurs de concerts, les gestionnaires de salles de concerts, les journalistes culturels, etc. RREVERB propose une série d’entrevues avec les artisans passionnés de la musique. Cette semaine, rencontrons… MELISSA MAYA FALKENBERG photo: Andréanne Gauthier Animatrice-chroniqueuse, auteure, photographe et fondatrice du studio d’enregistrement Studio Home Sweet Home, Melissa Maya Falkenberg s’est taillée une place dans l’industrie musicale d’abord en animant Folk toi folk moi sur les ondes de CISM. Cette émission de radio dédiée aux genres folk et country (nouveaux courants et racines de la musique américaine) est ensuite devenue une websérie qui nous a fait voyager autant aux États-Unis (Nashville, Las Vegas) qu’au Québec, et s’est méritée divers prix et nominations pour son originalité et sa qualité de production. On a aussi vu et entendu Melissa Maya dans les coulisses de La Voix, dans diverses émissions de Vox Montréal, Radio-Canada et Télé-Québec, et on a pu la lire dans plusieurs publications dont le Nightlife et Châtelaine, où elle a été chef Culture. Melissa Maya travaille dans plusieurs sphères culturelles, mais la musique demeurera toujours l’élément central de son parcours. D’où êtes-vous et où vivez-vous maintenant? Je suis une fière Lavalloise devenue une fière Montréalaise. Oui, je suis chauvine, avec quelques variations selon l’endroit où je me trouve… 😉 Quel est votre rôle dans l’entreprise musicale où vous travaillez, et depuis quand y œuvrez-vous? Je suis pigiste, alors j’ai plusieurs employeurs, et mes rôles varient en fonction des contrats que j’ai. Récemment, j’ai animé et réalisé le parcours numérique Pour l’amour du country pour ARTV, une série qui présente 10 coups de cœur country dans 10 lieux westerns emblématiques du Québec. Cet hiver, j’ai aussi animé mon premier magazine à Télé-Québec, Québec Western, un dérivé du livre Québec Western, ville après ville, coécrit avec Jacques Blondin et Marie-Hélène Taschereau précédemment. Depuis quelques années, mon appart est aussi un studio d’enregistrement. C’est mon mari qui s’occupe de tout ce qui est technique et sonore, alors que moi je filme les séances. On fait ensuite souvent le montage ensemble, c’est vraiment un travail d’équipe! Jason Bajada et Charlotte Cardin-Goyer (et la petite fille de Melissa Maya) au Studio Home Sweet Home : Jason Bajada et Charlotte Cardin from Studio Home Sweet Home on Vimeo. Quand avez-vous commencé à travailler dans l’industrie musicale? J’avais 15 ans, je tripais sur un artiste de Toronto qui s’appelle Lindy. Ma meilleure amie Dounia (qui travaille aujourd’hui pour Arcade Fire à temps plein) et moi voulions tellement qu’il joue à Montréal qu’on avait booké un show pour lui à la Casa del Popolo. Pour tous ses petits concerts qu’on organisait, nos parents venaient nous reconduire à Montréal pour qu’on colle nos affiches dans la ville après l’école. On regardait les shows backstage parce qu’on était trop jeunes pour être dans le bar et, après les shows, les musiciens dormaient dans les maisons de banlieue de nos parents parce qu’ils ne faisaient pas assez d’argent pour se payer un hôtel. C’est comme ça que je suis entrée dans le milieu : d’abord derrière la caméra et le micro, en apprenant les rouages d’une production. J’ai commencé à faire du bénévolat pour le gala MIMI (Initiative Musicale Internationale de Montréal), puis des jobines pour les premières éditions du festival Pop Montréal. Ah! Trop de souvenirs!!! Quand avez-vous commencé à aimer la musique? Je pense à deux choses qui ont pu avoir un impact. Très jeune, le dimanche, ma mère m’amenait à un événement de la Maison des arts de Laval qui s’appelait Croissants et musique. En gros, on se bourrait de chocolatines en écoutant des quatuors de musique à cordes. Mes parents se sont divorcés tôt et je voyais peu mon père. Mais l’été, je me souviens, on allait au Festival de Jazz de Montréal ensemble et, dans le Winnebago dans lequel on voyageait, il faisait toujours jouer du jazz ou du Bob Marley. (Ou du Phil Collins, mais ça je tripais moins.) À 20 ans, quel était votre rêve (dans le domaine musical)? Je voulais amener le country dans les médias québécois. Faire découvrir ses richesses, faire en sorte qu’on le connaisse davantage. Ça a été une longue bataille, des années et des années de travail, mais des fois j’y pense et je n’en reviens pas à quel point l’acharnement a porté fruit. Je suis tellement contente des tribunes et de l’accueil que j’ai eus! Folk toi folk moi – Chronique Rockabilly from Studio Home Sweet Home on Vimeo. Avez-vous été musicienne? Racontez-nous votre carrière. Carrière? Hahahahaha! Je joue du piano depuis que j’ai douze ans, mais quand je suis arrivée en musique au cégep, j’ai rapidement su que ça ne m’intéressait aucunement d’en faire un métier. Et aussi, je dois l’avouer, j’ai eu une passe Jorane (tentative de jouer du violoncelle comme elle), mais ce n’était pas pour moi… Cela dit, je tiens à préciser que je ne suis pas une musicienne frustrée qui s’est vue obliger de travailler pour les autres pour cause d’échec personnel… Jouer du piano est un passe-temps; je préfère de loin étudier la musique et l’écouter, découvrir et faire découvrir celle des autres. Anyway, je chante mal et je ne compose pas! SUR L’INDUSTRIE MUSICALE En vivez-vous? Certaines années, presque tous mes contrats tournaient autour de la musique. Il serait cependant plus juste de dire que je gagne ma vie en travaillant en culture et dans les médias, et c’est bien comme ça, parce qu’il y a plein de choses qui m’intéressent. Cleveland et Memphis Une fois, en panique, j’ai demandé à mon ami Sylvain Cormier (journaliste musique) : « Sylvain, as-tu peur de ne plus aimer autant la musique, des fois?!!! » Parce que parfois, quand tu ne fais que ça, ça devient plus une obligation qu’une passion… Avec des belles phrases et des mots de poète, il m’a répondu quelque chose qui voulait dire que je suis folle, que cette passion-là, comme le vélo, ne peut pas se perdre. (Mais je vous le jure, j’ai tellement vu de gens avec les meilleurs jobs musicaux devenir blasés… Je ne suis pas si folle!!!) Est-il encore possible aujourd’hui de gagner sa vie dans l’industrie musicale? Que faut-il faire pour y arriver? Bien sûr! Mais je crois, autant pour les auteurs-compositeurs-interprètes que ceux derrière la scène, qu’il faut un heureux mélange d’efforts continus, de contacts dans le milieu et de chance. Les médias, les gouvernements et ceux qui travaillent pour les artistes ont un rôle fondamental dans le développement de cette industrie. Quelles rencontres ont été déterminantes dans votre carrière dans l’industrie musicale? Mon professeur d’histoire de la musique Craig Morrison, avec qui j’ai suivi des cours à Concordia et de façon privée pendant plusieurs années. Cet homme-là est une encyclopédie vivante et a une façon d’enseigner tellement inspirante! C’est grâce à son savoir que j’ai pu aller toujours plus loin dans mes recherches. C’est lui qui m’a donné envie d’aller à Chicago, à Cleveland, à Memphis… Mettons qu’il m’a fait sortir de mon sous-sol une couple de fois! Finalement, les premières personnes qui m’ont fait confiance pour la télé (Sylvain Bouchard, Richard Fournier), Diane Maheux et Isabelle Aubin d’Ici Musique, Stéphane Laporte qui m’a engagée tout de suite après mon congé de maternité, sans oublier Lucas Rupnik, mon partner de studio et de plein d’autres projets, et tous les musiciens hallucinants qui me font vibrer par leur génie et leur authenticité… Craig Morrison m’a donné le briquet ; ce sont eux la flamme. Que changeriez-vous de l’industrie musicale d’aujourd’hui? Il faut prendre la vie comme elle est et dealer avec. « Times they are a-changing » et « Time flies like a jet plane », chante Bob Dylan. Il faut s’adapter. Je crois qu’une des grandes difficultés actuelles pour ceux qui travaillent derrière la scène est le fait que, maintenant, pour un même type de projet, tu peux avoir autant 50 dollars que 50 000 dollars. Il y a eu tellement de merveilles (disques, vidéoclips, séries) faites avec des pinottes qu’il devient de plus en plus difficile de justifier de plus gros budgets, surtout avec les coupures. Mais, en même temps, jamais je ne pourrai me révolter contre ça, car ce sont notamment l’accessibilité aux nouvelles technologies et le web, peu dispendieux, qui m’ont permis de faire ma place et d’avoir un studio à la maison. J’ose croire qu’il y aura un jour des lois qui apporteront plus d’équilibre dans le Far-Web et l’industrie… Quel grand rêve n’avez-vous pas encore accompli? Avoir mon émission de radio à moi sur les ondes publiques ou à une station de radio commerciale, enseigner au cégep et, dans les rêves les plus fous, ouvrir un espace public juxtaposé au studio comme Jack White l’a fait chez Third Man Records. Le vinyle, la cassette, le CD ou le digital? Le vinyle pour la fin de semaine et les soirs de pluie, la cassette dans les vieux chars, le CD pour les livrets qui te permettent de savoir qui a fait quoi sur chaque toune (man, pourquoi on n’inclut pas systématiquement le livret dans tous les communiqués et achats numériques?!), le digital pour les relations de presse, les playlists, les indépendants, les stratégiques, les généreux, les archivistes, les adeptes de simplicité volontaire, les joggeurs, tous ceux pour qui c’est mieux comme ça (sauf ceux qui rendent disponibles des albums complets gratuitement sur le net sans l’accord du créateur joignable). SUR LES ARTISTES ET LA MUSIQUE Sur une île déserte, vous emmèneriez ces 5 albums (pas plus) : BOB DYLAN – Nashville Skyline (Columbia Records, 1969) DESTROYER – Rubies (Merge Records, 2005) ou Your Blues (Merge Records, 2004) M. WARD – A Wasteland Companion (Merge Records, 2012) PHILÉMON CIMON – L’été (Audiogram, 2014) Pis un piano public pour les sirènes et autres visiteurs de l’île! Playlist! Quel est l’artiste le plus sympathique que vous ayez rencontré? Le guitariste et roi du surf Dick Dale, rencontré dans un Hard Rock Café aux États-Unis. Si grand et si simple à la fois. Je suis sortie de là en me demandant : « Est-ce que Dick Dale vient vraiment de dire Folk toi folk moi ?! » A hello from Dick Dale from Studio Home Sweet Home on Vimeo. Aussi, une autre vibe : ma rencontre avec Lou Doillon pour Châtelaine. Son aura, sa franchise, sa vulnérabilité… Le moins sympathique? Pourquoi? Je pense qu’il ne faut pas juger un artiste qui est moins sympathique une journée, surtout s’il demeure respectueux. Il peut être timide, subir de la pression ou tout simplement avoir ses journées de marde comme tout le monde. Quel artiste brillant aurait dû percer davantage, selon vous? On donne souvent énormément de visibilité à un artiste qui a eu un hit. Cette personne roule sur son hit. Il y a tellement d’auteurs-compositeurs incroyables qui n’ont peut-être pas eu un hit que tout le monde connaît, mais dont l’ensemble de l’œuvre mériterait d’être davantage mise en valeur. Dany Placard, par exemple, pourrait être notre grande figure du folk-rock. Qui aimeriez-vous rencontrer? Elvis Costello, pour voler ses lunettes et lui dire que son album country est un Popsicle qui fond dans la bouche. La personne qui a écrit Let It Go, pour qu’elle finance mes projets. Et tous les petits nouveaux qui, alors qu’on pense qu’on a tout entendu, vont arriver comme une tonne de briques, nous faire danser et pleurer, rendre fiers ceux qui, maintenant au ciel, ont marqué l’histoire de cette industrie. Merci Melissa Maya! Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments