Stéphane Tétreault n’a plus tellement besoin de présentation. Mentionnons tout de même certaines de ses distinctions pour ceux qui ne le connaîtraient pas : le talentueux violoncelliste est lauréat du Premier prix au Concours de l’Orchestre symphonique de Montréal Standard Life-OSM 2007, a été nommé Révélation Radio-Canada 2011-2012 en musique classique, a été récipiendaire du Prix Opus de la Découverte de l’année en 2013 et, depuis 2 ans, il fait partie du palmarès des 30 musiciens de l’heure de moins de 30 ans de CBC Radio. Malgré sa renommée acquise dans la dernière décennie, il ne faut pas oublier qu’il n’est âgé que de 22 ans. À l’occasion de la sortie, cette semaine, de son deuxième disque, je me suis entretenu avec lui.

Le premier album du jeune homme est paru il y a trois ans. Sur cet opus, Tétreault interprétait des œuvres pour violoncelle et orchestre de Saint-Saëns et Tchaïkovski, accompagné par l’Orchestre symphonique de Québec et le chef Fabien Gabel. C’est tout naturellement qu’il s’est dirigé vers la musique de chambre, format plus intimiste qui convient à son jeu brillant et plein d’assurance. « Pour le premier album, je voulais me démarquer, raconte-t-il. J’avais également le grand rêve de jouer avec un orchestre, et j’ai pu avoir du financement avec Radio-Canada. Pour le deuxième album, c’était normal et évident d’aller dans cette direction, puisque je joue autant avec orchestre qu’en musique de chambre. »

Stéphane Tétreault a choisi de piger dans le répertoire de compositeurs qui ont résidé à Vienne à trois époques successives. Joseph Haydn est le digne représentant du classicisme du 18e siècle, Franz Schubert marque la transition entre la période classique et romantique du premier quart du 19e siècle, alors que Johannes Brahms a vécu pleinement l’époque romantique de la deuxième moitié du 19e siècle (sa musique est tout de même très influencée par les maîtres des époques classique et baroque). Tétreault explique son idée derrière le choix des œuvres : « Ce disque est une sorte d’hommage à Vienne. J’ai choisi des œuvres qui se complémentent, qui sont en symbiose. »

Sur l’album « Haydn, Schubert, Brahms », Tétreault interprète des œuvres pour violoncelle et piano, accompagné par la très bonne pianiste Marie-Ève Scarfone, sa complice depuis presque deux ans. Les trois pièces au menu offrent un bel équilibre, oscillant entre virtuosité, douceur, tendresse, mélancolie et humour. Le Divertimento de Haydn est vif et léger, la Sonate Arpeggione de Schubert (du nom de l’instrument désuet qui était un croisement entre la viole de gambe, le violoncelle et la guitare) est charmante et irrésistible, tandis que la Sonate no. 1 de Brahms détient une belle profondeur. Sur chacune de ces œuvres, Stéphane Tétreault fait preuve d’une assurance et d’un plaisir certains. Pour lui, « le Schubert est très complexe et technique, alors que Haydn et Brahms demandent beaucoup de musicalité ». Manifestement, ce sont des œuvres qu’il connaît bien et qu’il a souvent jouées en concert.

Voici un extrait du Divertimento de Haydn. L’album peut être écouté (et acheté) sur le site de la maison de disques Analekta.

Les deux instrumentistes ont également réussi à aller chercher une balance sonore intéressante. Tétreault est plus à l’avant dans les œuvres de Haydn et de Schubert, alors que le piano se fait entendre davantage dans Brahms. La Sonate no. 1 de ce dernier est d’ailleurs intitulée « Sonate pour piano et violoncelle », plaçant le premier instrument au devant. La réalisation et la prise de son sont d’ailleurs superbes, et Stéphane Tétreault ne tarit pas d’éloges à l’endroit du réalisateur : « On avait un réalisateur extraordinaire en Carl Talbot. Moi et Marie-Ève avions déjà fait des disques, donc on savait ce qu’il fallait rechercher pour que ça sonne bien. »

Voilà pour le disque. Et la suite des choses? « Je veux rencontrer des maîtres de violoncelle, mais aussi des violonistes et des chefs d’orchestre, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou au Canada », dit Tétreault avec enthousiasme. Il me nomme une personne qui est déjà dans les plans pour les prochains mois, soit le réputé violoncelliste suédois Frans Helmerson, qui a étudié entre autres avec le légendaire Mstislav Rostropovich. Avec ces enseignements, il espère approfondir ses connaissances de son instrument. Cet instant de répit, si on peut le qualifier ainsi, sera également salutaire : « Cette pause va me permettre de voyager, ce que je n’ai pas le temps de faire lorsque je donne des concerts ».

Stéphane Tétreault s’accorde donc une pause de spectacles pour cet automne, après avoir complété sa maîtrise en interprétation à l’Université de Montréal en mai dernier, sous la direction de l’altiste Jutta Puchammer-Sédillot. Le fait de travailler avec un « non-violoncelliste » est très bénéfique pour lui, puisque cela lui permet d’acquérir une perspective différente sur son instrument et les pièces qu’il interprète. Selon lui, « on travaille plus la musique en général que la technique de l’instrument ».

Avant de terminer l’entretien, je ne pouvais pas ne pas lui parler brièvement de l’instrument avec lequel il joue, un merveilleux Stradivarius « Comtesse de Stainlein, Ex-Paganini », de 1707, qui appartenait à Bernard Greenhouse. Ce joyau lui a été généreusement prêté par Jacqueline Desmarais, la veuve de Paul Desmarais (cet album est d’ailleurs dédiée à ce dernier; la Sonate no. 1 de Brahms était l’une de ses pièces préférées). Madame Desmarais en a fait l’acquisition en janvier 2012, pour la modique somme de six millions de dollars.

Une fois résorbé le stress lié au fait d’être responsable d’un instrument d’une telle valeur, Stéphane Tétreault est en mesure d’apprécier pleinement les richesses de ce violoncelle trois fois centenaire. « C’est un immense honneur de jouer avec un tel instrument, dit-il. […] J’apprends énormément en jouant avec ce violoncelle. Il a une palette de couleurs infinie et une précision sonore extraordinaire. » Cette palette de couleurs et cette précision sonore dont nous parle Stéphane Tétreault sont d’ailleurs bien audibles sur le disque « Haydn, Schubert, Brahms », qui est certainement un des très beaux disques de la rentrée.

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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.