Estelle Richer-LegaultSTÉFANE CAMPBELL : “Les burnouts sont courants dans le milieu de la musique…” Nicolas Pelletier 2016/02/15 Infos (Fr), Les Passionnés de l'industrie Parmi les gens les plus passionnés par la musique, il y a ceux et celles qui travaillent dans l’industrie: chez les labels, les relationnistes de presse, les promoteurs de concerts, les gestionnaires de salles de concert, les journalistes culturels, etc. RREVERB propose une série d’entrevues avec les artisans passionnés de la musique. Cette semaine, rencontrons… STÉFANE CAMPBELL Quel est votre nom, quel est votre rôle dans l’entreprise musicale où vous travaillez, et depuis quand y œuvrez-vous? D’où êtes-vous et où vivez-vous maintenant? Quand avez-vous commencé à travailler dans l’industrie musicale? Stéfane Campbell, originaire de Bedford, résidant à Montréal depuis 1997. J’ai commencé à flirter avec l’industrie à titre de journaliste musical pour plusieurs publications (ICI Montréal, Bang Bang, CRUX Magazine, SKUNK Magazine, etc) et prenant le micro sur les principales radios communautaires de la ville (CHOQ, CIBL, CISM) en sortant de l’Université en Études littéraires en 2006, pour ensuite faire un saut « à l’interne » où j’ai bossé pour M pour Montréal – édition de 2010 – et Planet Québec à SXSW (Coordonnateur aux communications), Festival de Jazz de Montréal (relationniste de presse), Francofolies de Montréal (relationniste de presse), La royale électrique (Vice-président/actionnaire) et chez Coyote Records (Directeur du développement et des communications). Je suis récemment retourné à mes premiers amours, du côté des médias, avec la ferme intention d’explorer le médium de la télé. J’œuvre présentement en développement avec certains producteurs, ainsi qu’à la recherche pour le magazine culturel Formule Diaz, en plus d’avoir repris la plume pour quelques publications, notamment le magazine Parole et Musique de la SOCAN. Quand avez-vous commencé à aimer la musique? J’écoute de la musique depuis que je peux concevoir l’idée d’appuyer sur un bouton pour y entendre une suite d’accords. Ma mère s’amuse à me dire qu’elle m’a insufflé mon amour de la chose lorsqu’elle était enceinte et prenait régulièrement des « pauses musicales » pour me faire entendre et « aimer » la musique. Tout cela est épouvantablement romantique. Mes premières cassettes achetées : Samantha Fox – Touch Me et Bon Jovi – Slippery when wet; chez un obscur professeur de musique de Bedford (« ville » où j’ai grandi) qui avait un comptoir à l’entrée de son studio avec à peu près 27 cassettes au total (clairement de la revente) et qui s’est « dissout » du jour au lendemain pour fraude en lien avec des troubles de consommation. Pittoresques souvenirs, va sans dire. À 20 ans, quel était votre rêve? À vingt ans, je rêvais à peu de choses, sinon d’aller voir des shows aux quatre coins de la ville. J’aurais probablement pu payer le loyer des Foufounes électriques et du Café Chaos tant j’y étais pratiquement tous les soirs. Une visite à la Mecque du punk, 2011 (photo: Maude Laberge-Boudreau) Donc, toute notion de carrière était des plus nébuleuses si ce n’est, ultimement, de ne pas me faire chier en me levant le matin pour aller bosser. La musique m’a procuré ce sentiment pour quelques années – jusqu’à ce que j’aie l’impression que mon sort, mes goûts et mes choix se devaient d’être en accord, voire d’appartenir littéralement, à des entités gouvernementales qui régissent notre cher milieu sur un modèle de promotion et de commercialisation relativement désuets et avec qui j’ai, au final, très peu d’atomes crochus. SUR L’INDUSTRIE MUSICALE En vivez-vous? J’en ai vécu pendant quelques années. Mais jamais grassement. On parle d’une industrie où le plafond salarial, en général, oscille autour de 35 000$ annuellement. La règle des riches qui s’enrichissent vs. les pauvres qui dépérissent est, à quelques exceptions près, la règle d’or sur laquelle certains producteurs et éditeurs s’appuient et encaissent, au détriment de la majorité du personnel rémunéré au sein des labels et agences. Le principe est assez simple : aller chercher l’investissement au sein des organismes publics voués à cet effet de façon à faire rouler l’entreprise – et se mettre l’essentiel, sinon la totalité, des profits dans les poches quand vient le temps de recueillir ce qui en résulte. Ceci en omettant judicieusement de redistribuer le gâteau à ceux-là mêmes (lire les employés et acteurs externes) en partie responsable du succès de celle-ci. Tout ceci sous le noble prétexte du « c’est moi qui a investi ». Ce qui est discutable, soyons francs, à partir du moment où la notion de l’argent des contribuables est soulevée. Pour ma part, j’ai eu la chance de vite devenir actionnaire, puis, par la suite – relativement – bien rémunéré pour mes fonctions qui ont suivi, mais le genre de vie que tout ceci exige n’est définitivement pas fait pour tous les tempéraments. Les burnouts et arrêts pour cause de surmenage sont monnaie courante dans ce milieu qui peine à fixer un modèle et une structure dignes de ce nom, suivant l’écroulement des majors. Le beau côté : le Québec peut se targuer d’être l’un des seuls territoires au monde où le milieu de la musique est gouverné principalement par des labels indépendants. Là où le bât blesse : Les structures d’affaires, qui puisent principalement du côté des fonds publics et qui – faute de devoir justifier leur rentabilité – n’ont pas su, à ce jour, élaborer un modèle qui soit capable de faire vivre adéquatement ses artistes et artisans sans devoir presser le citron de tous les participants jusqu’à ce que sècheresse s’ensuive. Évidemment, le tableau général recèle des nuances et quelques exceptions qui viennent confirmer la donne, mais l’essentiel de la réalité actuelle au Québec tend, selon mon expérience, à graviter autour de la formule susmentionnée. Quelle(s) rencontre(s) a(ont) été déterminante(s) dans votre carrière dans l’industrie musicale? Isabelle Ouimet (La royale électrique), l’une de mes personnes préférées dans la vie et ancienne associée; Patrice Caron (présentement CEO fondateur du GAMIQ et du Musée du rock’n’roll du Québec) qui m’a donné mes premières armes à l’époque du Bang Bang et de M pour Montréal; Karim Ouellet et Rafael Pérez (Coyote Records) avec qui j’ai connu le tsunami; Antoine Corriveau pour l’ensemble de son œuvre et sa personne. Avec Léa Clermont-Dion et Karim Ouellet (photo : Albert Zablit) Qu’aimez-vous dans votre emploi / occupation actuelle? L’émulsion créative au quotidien, les défis esthétiques qu’impose le médium de la télé, le plaisir de décortiquer un sujet jusqu’à plus soif, l’idée de n’être jamais trop loin de la musique sans pour autant être directement impliqué. Que changeriez-vous de l’industrie musicale d’aujourd’hui? Le système de pensée qui veut que l’on donne au public ce qu’il nous demande en ne tenant jamais compte du fait qu’un public averti en vaut dix. Il se vend plusieurs millions de Big Macs chaque jour à travers le globe, ce qui ne veut pas dire pour autant que ce soit recommandable pour quiconque. Et à partir du principe selon lequel « un enfant, ça s’élève », l’étendu des possibles est décuplé, ne l’oublions jamais. Quel grand rêve n’avez-vous pas encore accompli? Animer ma propre émission de télé et aller tâter le terrain à l’extérieur du Québec. Une question de temps. Ma bucket list est assez ambitieuse finalement. SUR LES ARTISTES ET LA MUSIQUE Sur une île déserte, vous emmèneriez ces 5 albums (pas plus). Bérurier Noir, Concerto pour détraqués Parce qu’il incarne le début de mes élans de rébellion. Parce qu’ils ont mis le Festival d’été de Québec sens dessus dessous, en 2004, au grand bonheur des milliers de « petits agités » venus de partout. Parce que « Salut à toi » résonne avec autant d’urgence et de pertinence 31 ans plus tard. Crass, Stations of the Crass Pour l’impact du collectif sur la scène punk mondiale. Pour la capacité à marier l’engagement politique, l’extrême gauche en n’éclipsant jamais pour autant la qualité mélodique des chansons. Pour l’intégrité absolue selon laquelle tous les membres concernés ont vécu durant les belles années du groupe. Me Mom & Morgentaler, Shiva Space Machine Fort probablement l’album que j’ai le plus écouté de ma vie. Pour le vent nouveau qu’il a insufflé sur la scène locale à l’époque. Pour la folie qu’il remettait au goût du jour. Pour le souvenir de concerts COM-PLÈ-TE-MENT déjantés. Et l’espoir qu’il a incarné pour plusieurs acteurs du milieu d’hier et d’aujourd’hui. Tori Amos, Boys for Pele Le tour de force d’une grande auteure-compositrice-interprète. La liberté avec laquelle elle s’acharne sur son instrument. Les textes aux mille et une interprétations possibles. Un album sans lequel plusieurs des émules de Lilith Fair n’auraient carrément jamais vu le jour. Et « Hey Jupiter » qui canalise le chagrin amoureux avec une fragilité rarement atteinte en chanson. Antoine Corriveau, Les ombres longues Je m’assume dans le conflit d’intérêt puisque j’ai lancé cet album avec Antoine. Il reste que je l’écoute encore aujourd’hui avec autant de frissons et de fascination. Une grande prouesse tant sur le fond que la forme. Une musique dense, un propos lourd de sens, et un artiste qui atteint des sommets de poésie et d’honnêteté comme rare il s’en fait de nos jours. Quel est l’artiste le plus sympathique que vous ayez rencontré? Qu’est-ce qui rend un artiste désagréable? Je les ai tous aimés pour ce qu’ils étaient. Je ne crois pas qu’il y ait des « artistes » désagréables ou non sur des standards distincts, mais je pense qu’il y a des « gens » désagréables, et d’autres pas, peu importe leur statut ou rôle. Merci Stéfane et bonne chance dans tes nouveaux projets! Quelques articles et vidéos pertinents sur Stéfane Campbell VOIR (vidéo) – mars 2015 La Presse – décembre 2014 VOIR – décembre 2014 Baron Mag – août 2014 CISM (audio) – juillet 2014 On suit Formule Diaz à la télé et sur le web (cliquez sur le logo ci-dessous). Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments