Chez RREVERB, nous pensons que la musique de qualité dure, qu’elle est appréciée longtemps. Nous prenons le temps de l’écouter. Cette série d’entrevues s’attarde l’art de faire de la musique, sur le parcours des musicien(ne)s, sur ce qu’ils transmettent en créant de la musique. Aujourd’hui, nous rencontrons… VÉRONIQUE LACROIX Quel est votre nom, votre ville d’origine ainsi que celle où vous habitez maintenant? Pourquoi avez-vous choisi d’y résider (photo: Pierre Léveillé) Je m’appelle Véronique Lacroix et je suis chef d’orchestre de musique contemporaine. Je viens de Chicoutimi, au Saguenay, alors que j’ai déménagé à Montréal il y a une trentaine d’années, pour poursuivre mes études musicales, avant de fonder mon propre orchestre. J’ai tout de suite adoré et adopté cette ville, même si elle a considérablement changé au cours des années … Depuis combien de temps faites-vous de la musique? Parlez-nous de votre carrière en notant les moments clés, qui vous sont importants. J’ai commencé le violon à l’âge de 4 ans, puis la flute traversière à 9 ans, avant de me consacrer entièrement à la direction d’orchestre depuis que j’ai 19 ans. Ces années d’études musicales – toutes passées d’abord au Conservatoire de Chicoutimi, puis à Montréal – ont été déterminantes pour moi alors que j’ai pu bénéficié de l’enseignement d’excellents professeurs dans un domaine qui me passionnait. C’est d’ailleurs sur les conseils d’un de ceux-ci, le compositeur Clermont Pépin, que j’ai fondé l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) en 1987, un ensemble que je dirige toujours aujourd’hui. Comment décrieriez-vous la relation que vous avez avec la musique, les compositeurs, les musiciens, depuis vos débuts? La pratique de la musique et d’un instrument est au centre de ma vie depuis si longtemps qu’il est difficile pour moi d’imaginer de vivre sans elle… C’est une discipline qui m’apporte un véritable équilibre quotidiennement, en plus d’être une constante source de découvertes et d’émerveillement. J’ai toujours été attirée par le travail musical des compositeurs qui se trouve dans les partitions – souvent des œuvres jamais jouées auparavant – que j’étudie en détail. Je peux y plonger pendant des heures pour recréer, petit à petit, le sens d’une œuvre parfois fort complexe qu’il me faudra communiquer aux musiciens pour qu’elle prennent forme rapidement, tout en étant le plus près possible de l’idée d’origine du compositeur. LA CRÉATION Comment abordez-vous la création d’une oeuvre? Est-ce que vous recherchez un lieu ou un état d’esprit? Comment se passe la collaboration entre vous et les compositeurs? Plus je plonge dans la partition du compositeur, plus je découvre ses codes et comprends son style d’expression, une clé qui s’avère essentielle pour prendre les bonnes décisions d’interprétation d’une œuvre. Un bon interprète peut faire une différence importante entre une œuvre qui sera bien comprise ou pas, par l’auditoire… C’est la partie qui m’intéresse le plus de la musique, en plus de ses composantes sonores, évidemment (rythme, harmonie, mélodie, timbres) des éléments qui résonnent comme une véritable « drogue », dans mon cerveau! (photo: Jonathan Goulet) À quel point l’avis de votre entourage est-il important dans les premiers moments de la création d’une pièce? Lorsque l’étude de la partition est terminée et que ma vision de l’œuvre est de plus en plus précise, le travail intense de répétition avec les musiciens commence. Dans un minimum de séances (les musiciens « classiques » sont rémunérés à l’heure), je devrai alors leur communiquer les clés de lecture à suivre pour permettre à la musique et à son expression de prendre forme de la façon qui m’apparait le plus proche possible de l’idée du compositeur. Les musiciens seront alors confrontés à des difficultés d’exécutions instrumentales variables dont certaines peuvent être considérables, vu les aspects constants de recherche et d’expérimentation qui caractérisent la musique « contemporaine » que mon ensemble défend. Pour cette raison, il est possible qu’ils manifestent au début des doutes et une certaine « résistance » face à une partition difficile et des exigences particulières d’exécution. Mais je dois généralement suivre mon plan de match initial, m’en remettant surtout aux réactions du compositeur qui suit de près les répétitions. Ses réaction verbales mais aussi « physiques » face à l’expérience sonore de son œuvre que je recrée avec l’orchestre et qu’il entend en direct pour la première fois, sera pour moi mon plus précieux guide pour évaluer la pertinence de mes décisions d’interprétation. (photo: James Witthall) Avez-vous déjà composé, interprété ou dirigé de la musique complètement différente que celle pour laquelle on vous connaît? Le public de musique contemporaine serait peut-être étonné d’apprendre qu’à une autre étape de ma carrière, j’ai fait la direction musicale d’une compagnie… d’opérette! J’avais alors beaucoup de plaisir à travailler avec des chanteurs dans des rôles légers et cocasses, mais aussi dans de très belles pages lyriques, comme celles de l’inimitable compositeur français Jacques Offenbach. Plus récemment, je n’ai d’ailleurs pas hésité à insérer un des ces airs rigolos dans un cabaret humoristique de l’ECM+ où on entendait l’Air des dindons d’Edmond Audran (opérette La Mascotte). Tout le monde a bien rit lorsqu’un des chanteurs s’est mis à battre une mesure compliquée en 7/8 sur des chants tout simples de dindons et de moutons... En résumé et de façon générale, il s’est installé en moi, depuis mon jeune âge, un amour profond du répertoire musical de « musique écrite » et ce, quelque soit le style du compositeur ou de l’époque à laquelle il s’attache. Et cela va de la musique du Moyen-âge jusqu’à celle d’aujourd’hui! On retrouve d’ailleurs cette large palette de mes goûts relativement éclectiques dans la programmation de l’ECM+ qui inclut occasionnellement des œuvres d’autres époques, en plus de celles majoritairement contemporaines. C’est ainsi que notre prochain spectacle, Sacrée Landowska!… Un théâtre musical avec Catherine Perrin et l’ECM+ contient une œuvre principale d’un compositeur actuel, John Rea, mais aussi une œuvre plus impressionniste de Manuel de Falla écrite au début du XXe siècle et un concerto de Jean-Sébastien Bach qui date de 1721! Le choix de ce répertoire – qui peut paraitre étonnant – dépend de la thématique soigneusement élaborée de chaque concert qui vise à contextualiser les œuvres modernes encore inconnues dans un scénario imaginaire les reliant à des points de repères historiques ou musicaux plus facilement reconnaissables. L’INTERPRÉTATION Est-ce que des compositeurs écrivent spécifiquement pour vous ? C’est en quelque sorte ma « spécialité » alors que j’ai fait, depuis les débuts de l’ECM+, la création de plus de 250 œuvres pour orchestre de chambre de compositeurs principalement canadiens, un groupe important de créateurs auquel notre ensemble se dévoue presqu’entièrement. À qui présentez-vous une nouvelle oeuvre pour la première fois? Les concerts de l’ECM+ présentent souvent des œuvres nouvellement composées à son public qui l’entend alors pour la première fois. C’est un défi pour l’auditeur qui n’a pas toujours le temps d’apprivoiser l’œuvre après une seule écoute. Mais ce l’est aussi pour les musiciens et le compositeur qui l’entendent sous sa forme complète seulement une dizaine de jours avant le concert, lorsque commencent finalement les répétitions… (photo Etienne Bergeron) Pour palier à cette situation, l’ECM+ a mis en place il y a une vingtaine d’année la série Génération qui permet d’étaler les ateliers d’expérimentation du compositeur avec les musiciens et les répétitions qui suivent, sur une période de 6 mois. Ce calendrier permet une meilleure intégration des données d’interprétation pour les musiciens et donne plus de souplesse au compositeur pour faire des changements importants à la partition, lorsque requis – ce qui n’est malheureusement pas possible dans un calendrier de travail resserré plus conventionnel. Cette série Génération a d’ailleurs gagné ses lettres de noblesses avec les années et fait l’objet, chaque deux ans, d’une grande tournée pancanadienne d’une dizaine de concerts. C’est aussi l’occasion pour un auditoire curieux d’assister à la création musicale « en direct » aux premières étapes des ateliers d’expérimentation qui sont également ouverts au grand public. Ainsi, les plus récents ateliers ont eu lieu en février dernier, alors que la prochaine tournée Génération aura lieu en octobre 2016. LA SCÈNE Quelle est votre relation avec la scène? Est-ce un pur plaisir ou un stress? La présence du public à ces moments privilégiés que sont les concerts est très stimulante pour moi. Cela donne un sens à mon travail puisque l’idée principale est de faire connaître ces compositeurs au grand public, en même temps que la créativité, l’ingéniosité et l’humanité qui se cachent dans leur musique. Le stress qui vient habituellement avec ces prestations est parfois un défi à surmonter, mais c’est aussi un élément important qui permet d’atteindre les plus hauts niveaux de performance. En fait, quand je ne suis pas nerveuse avant de monter sur scène, je m’inquiète et réitère l’importance du concert pour éviter qu’il soit vécu d’une façon qui serait trop banale… La vie en tournée se passe comment pour vous? Généralement un moment « heureux », puisque « tournée » correspond à « reprise de concerts » et donc des œuvres que nous y présentons! Dans ce domaine pointu où la première d’une création correspond encore trop souvent à la « dernière », ces occasions de reprendre les œuvres, de les approfondir et, par le fait même, de les faire connaître à un plus large public, sont inestimables et une grande source de joie! C’est le cas actuellement avec la tournée du spectacle Sacrée Landowska!… pour lequel sept représentations sont prévues, un peu partout au Québec. VOS PRÉFÉRÉS Quel est le tout premier album que vous avez acheté avec votre propre argent? À quel âge?L’écoutez-vous encore aujourd’hui? C’était la 3e symphonie de Brahms jouée par l’orchestre de Cleveland dirigé par Georges Szell – chef remarquable – acheté vers l’âge de 14 ans. Mais aussi, dans la même période, de la musique de chambre de Beethoven – ses sonates pour violoncelle joué par Jacqueline Dupré et Daniel Barenboïm – et son Trio Archiduc. Je n’ai plus ces enregistrements aujourd’hui. Mais je reconnaitrais immédiatement n’importe lequel extrait de ces œuvres à l’instant! On a retrouvé cet extrait de la Sonate pour Violoncelle No. 5 in D, Op.102… Votre meilleur souvenir d’un concert auquel vous avez assisté? Un concert de l’OSM avec Charles Dutoit qui dirigeait le Sacre du printemps de Stravinsky, mais aussi La Valse de Maurice Ravel… Entendu à la fin de mes études musicales, je n’oublierai jamais le son incroyable que le chef d’orchestre tirait des musiciens, particulièrement dans le Ravel qui sonnait comme le souffle d’une bête gigantesque! (NDLR – Voici une version plus récente de cette même Valse) Avec quels artistes aimeriez-vous collaborer? Au fil des ans, j’ai eu la chance de travailler avec de grands musiciens comme le violoncelliste Matt Haimovitz, le violoniste Jonathan Crow, le pianiste Marc-André Hamelin, le mezzo Julie Boulianne, le baryton Etienne Dupuis et bien d’autres artistes de renom. Mais j’aurais aussi aimé collaborer avec Diane Dufresne. C’est une artiste extraordinaire dont je chantais déjà les chansons étant enfant, même si ça ne s’adressait pas nécessairement à moi… Son éclat, mais aussi sa fantaisie et son expression ont certainement forgé mon imaginaire, tout comme le répertoire classique, au même âge. Merci Véronique! Pour suivre les activités de l’ECM+, cliquez sur le logo ci-dessous ou consultez les liens sociaux. Page Facebook Compte Twitter Chaîne Youtube Lien iTunes pour achat en ligne Écoute sur Soundcloud Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments