CAMERON CARPENTER : de l’athéisme musical Caroline Rodgers 2016/03/30 Concerts, Genres « Si la musique était une religion, Bach en serait le Dieu. » Ainsi parlait Cameron Carpenter, l’excentrique organiste américain venu donner un récital au Théâtre Maisonneuve, hier soir, dans le cadre d’une tournée internationale avec son orgue numérique. Disons-le : si Bach est Dieu, Cameron Carpenter est un athée en musique comme il se vante de l’être dans la vie. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, parlons d’abord du personnage. Cameron Carpenter n’est pas l’organiste moyen, que l’on est habitués à voir sobre et plutôt réservé, tant dans ses manières que dans son habillement. C’est un iconoclaste sur toute la ligne. Il l’est d’abord par son apparence, avec une coupe punk et une tenue vestimentaire l’approchant davantage du musicien rock que de ses collègues. Ajoutons à cela qu’il s’affiche volontiers comme bisexuel, une franchise rarissime dans le monde de la musique classique. Rebelle, il l’est aussi dans son approche de l’orgue en tant qu’objet. Refusant de jouer sur ces fabuleux instruments à tuyaux que l’on retrouve dans les églises ou les grandes salles de concert, il a conçu et fait fabriquer un orgue numérique par Marshall & Ogletree, facteur d’orgues du Massachusetts. Se définissant comme libre-penseur, Cameron Carpenter aime l’indépendance que lui permet cet instrument démontable et transportable dans un simple camion. Selon lui, c’est la seule façon de mener une carrière de concertiste satisfaisante sans dépendre des églises et autres institutions possédant des orgues auxquelles sont habituellement rattachés des organistes titulaires. Nous étions curieux d’entendre les possibilités de cette machine et d’en découvrir les sonorités. Premier constat : lesdites sonorités ne sont pas toutes agréables à l’oreille. Quelques-unes sont même franchement laides. Hyperactif et d’une virtuosité éblouissante tant au clavier qu’au pédalier, Cameron Carpenter exploite au maximum les possibilités de son instrument et change si souvent de registrations que l’on a parfois du mal à suivre la ligne mélodique. Après une brève présentation de Denis Brott, fondateur et directeur artistique du Festival de musique de chambre de Montréal, Cameron Carpenter entre sur scène vêtu de noir pendant que le rideau se lève sur le décor derrière la console. Un écran permettra de mieux voir le musicien en action et différents haut-parleurs et composantes électroniques sont éclairés de rouge, comme dans une boîte de nuit. Côté ambiance, c’est dix sur dix. L’organiste commence avec fougue en jouant sa propre transcription de l’ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner. Nous sommes éberlués au point d’en avoir presque le fou rire tant cet étalage de haute voltige technique est hyperactif. Cela en frise parfois la caricature. Simultanément, une foule d’idées musicales se précipitent et se bousculent dans son jeu sans nous donner le temps de les savourer. Il faut toutefois admettre qu’il est difficile, voire impossible, d’en détourner notre attention, comme si Cameron Carpenter exerçait sur nous une fascination hypnotique. « Mais que diable est-il en train de se passer ? », nous demandons-nous devant cette prestation tonitruante et presque sportive. Cette envie de comprendre sans la juger l’indéfinissable nature de ce coloré personnage nous hantera pendant tout le concert, et longtemps après. L’artiste enchaîne avec une douce version d’Oblivion, d’Astor Piazzolla. On croirait presque entendre un vrai bandonéon. Ce sera l’un des rares moments de douceur d’un récital plus racoleur qu’émouvant et versant plus dans l’exploit que dans la musicalité, la superficialité l’emportant sur la profondeur. Cameron Carpenter prend le micro entre les pièces, expliquant sommairement sa vision. Celle-ci est cohérente et en parfaite adéquation avec sa personnalité et sa façon de jouer, formant un tout logique dans l’univers parallèle qui est le sien. Pour lui, la conception généralement admise selon laquelle on devait respecter une certaine orthodoxie et se conformer à des règles d’interprétation respectant le style de l’époque et le texte musical et les intentions du compositeur serait une idée « paresseuse ». Sa façon de jouer en fait la démonstration. Certains grands interprètes croient qu’il faut s’effacer derrière la musique. Pour lui, c’est tout le contraire. Quand Cameron Carpenter joue Wagner, Tchaïkovski ou Bach, ce ne sont pas ces compositeurs que l’on entend, mais bien Cameron Carpenter. Il n’est ni le premier ni le dernier dans l’histoire à avoir adopté cette attitude, et de ces deux philosophies opposées de l’interprétation peuvent naître des expériences valables. Les puristes qui se posent en gardiens de la tradition lui apposeront sans doute une étiquette de clown. Nous avons d’ailleurs lu, dans un débat sur Facebook, le commentaire d’un utilisateur qui le qualifiait de « terroriste djihadiste » musical. La réflexion véritable qui sous-tend sa démarche artistique nous empêche toutefois de nous joindre au camp des réactionnaires. Nous sommes plutôt d’avis que si la musique était une religion et que Bach était Dieu, cela ne voudrait pas dire pour autant que l’on doive brûler les hérétiques. Concluons en disant que cette visite dans son univers parallèle était une expérience intrigante et pour le moins divertissante, sans compter que par les réflexions et les débats qu’ils provoquent, les artistes comme lui méritent une place dans l’écosystème musical. Il faut voir et entendre Cameron Carpenter au moins une fois dans sa vie parce qu’il est tout simplement prodigieux. Cela en vaut le coup, sans pour autant nous donner envie de retourner boire à cette coupe qui, au-delà de l’effet « wow », n’a pas su étancher notre soif d’émotions musicales. Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments