Le Festival international de jazz de Montréal est si éclectique qu’on doit parfois faire des décisions déchirantes, voir même irrationnelles. J’apprends quand même à prendre des décisions (un peu plus) assumées en vieillissant et après une semaine à courir les foules et les salles, faut bien me rendre à l’évidence que j’ai fait les bons choix cette année. Bilan de quelques moments.

Misc

Si le trio Misc est réputé pour son énergie sur scène, il s’attaquait cette fois à un mandat tout en douceur: reprendre intégralement l’excellent premier album éponyme de James Blake. Au départ, on se surprend à reconnaître un peu trop facilement les textures, puisqu’après tout l’album repose aussi essentiellement sur une structure piano – basse, puis l’ambiance fait son chemin et la batterie plus lourde ajoute une dimension qui bouge davantage. On y prend goût, on hoche de la tête dans notre siège, puis… la formule s’épuise et on en vient à ne plus trop différencier les propositions. Une heure plus tard et un peu trop tôt en soirée pour se trouver dans la très obscure Salle #5 de la Place des arts, on se demande donc si on aura l’énergie de poursuivre la soirée. Proposition intéressante bref, mais plus une curiosité qu’une réussite, même si on sent la très sincère appréciation du matériel de base par les musiciens.

Feist

Après une courte pause (parce que c’est bien de prendre des vraies vacances et accueillir sa famille des fois), retour en plein cœur de la place des festivals pour accueillir Feist à la très, très grande Salle Wilfrid-Pelletier. Grosse semaine et parfait timing pour l’artiste canadienne qui nous visite alors que le super groupe Broken Social Scene effectue son grand retour.

Feist qui convainc le public de se joindre à elle à l’avant scène. Crédit photo: Karl-Philip M. G.

Le public est au rendez-vous et Leslie Feist semble en très belle forme, mais surtout beaucoup plus à l’aise dans ce type de salle que dans un contexte d’aréna ou de festival extérieur. Elle échange constamment, sourit, prend bien le temps de décrire non seulement ses pièces, mais ce qu’elle avait en tête au moment de les écrire. C’est bien là le côté pratique, parce qu’elle annonce dès le coup d’envoi que la première portion du spectacle sera consacrée à jouer intégralement son nouvel album Pleasure en disant avec candeur “C’est un festival de jazz, alors aussi bien en profiter pour expérimenter et faire ce qu’on veut non?”. Si ce dernier album me paraissait parfois un peu trop uniforme à l’écoute, il prenait tout son sens sur scène: les solos étaient plus aiguisés et étirés, le drum plus lourd, les claviers appuyés. Une belle surprise qui m’a presque transcendé, mais surtout donné envie de réécouter l’album en boucle. Seul bémol: ça devient encore plus difficile de pleinement jouir des versions studio après la révélation scénique.

Après avoir convaincu le public sagement assis jusque là de remplir les minces allées de la salle pour danser romantiquement au son de “Young Up”, la deuxième moitié a pris son envol avec une version éclatée de la célèbre “My Moon My Man” qui, sous cette forme plus électrique que jamais, faisait apprécier à nouveau une pièce qui fut jadis un peu brulée. Même constat pour “Sea Lion Woman” qui suit. Les premières notes de “The Bad In Each Other” marquent malheureusement le moment où j’ai du laisser le party et quitter pour ne pas manquer le spectacle suivant, mais c’est avec regret que j’ai laissé derrière ce qui fut ma plus belle surprise du festival, mais peut-être même aussi mon meilleur sentiment d’accomplissement dans un spectacle cette année.
Chapeau.

Charles Bradley and His Extraordinaires

Si j’ai pu trouver le courage de laisser la charmante Leslie derrière, c’est justement parce qu’un autre moment d’anthologie m’attendait: la visite de l’unique Charles Bradley au Metropolis. La légende de 68 ans dont la carrière internationale a véritablement pris son envol avec la parution de son premier album en 2011 (!) revenait après l’annulation de sa tournée précédente pour traiter… un cancer de l’estomac. À peine remis, et même pas complètement, je m’inquiétais un peu pour son niveau d’énergie. Surprise: au moment de mon arrivée, environ en mi-parcours de la performance, je le retrouve bien au centre à l’avant de la scène, le pied de micro perché dans les airs, à faire les cris les plus souls/traditionnels qu’il m’ait été donné d’entendre. Vêtu d’un magnifique ensemble rétro rouge complètement assumé, la chemise bien déboutonnée, les mouvements en contrôle, il a servi une leçon sur comment les choses se faisaient à une certaine époque, mais surtout comment ce son peut toujours avoir sa place.

Il quittera la scène après avoir esquissé une chorégraphie pour reprendre son souffle le temps que His Extraordinaires enchaine deux instrumentales, puis il réapparait cette fois dans un spectaculaire ensemble shiny silver, fourrure comprise. C’est reparti pour une autre 30 minutes de build-up et Bradley laissera tout sur scène, au point de se demander où il puise cette énergie.

Ne reste plus qu’à rentrer chez soi en flottant et en se disant que si les plus grandes foules sont à l’extérieur, c’est quand même souvent dans l’intimité qu’on vit les plus grands moments.

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Obsessif compulsif qui classe ses albums d’abord en ordre alphabétique d’artistes, puis de parutions (avec les simples sous les albums, question de confondre encore davantage les gens qui le visitent), Karl-Philip oeuvre dans l’industrie depuis plus d’une décennie. Il a touché à tout: maisons de disques, gestion de salles de spectacle et rédaction professionnelle pour de nombreux artistes. Il assiste à de nombreux shows lorsqu'il n'est pas désespérément en train d'essayer de faire de la place dans sa bibliothèque musicale.