Alors que plusieurs le croyaient fini et n’attendaient plus rien de lui, Bob Dylan a fait paraître un des meilleurs albums de sa carrière en 1975. « Blood On The Tracks » est un grand chef-d’œuvre, tour à tour touchant, mesquin, amer et tendre. Le troubadour entonnant des chants de protestation et l’arrogant hipster carburant aux amphétamines sont loin derrière. On a affaire ici à un homme mature qui chante sa peine d’amour et se vide le cœur de manière brutalement honnête et émouvante. Après un album studio et un autre live avec The Band, Dylan s’est attelé, à l’été 1974, à l’écriture de nouvelles chansons, au moment où son mariage battait de l’aile et où il aurait commencé une fréquentation extra-maritale. Cette situation a sans aucun doute donné forme à ce qui est un des albums les plus personnels de Dylan. Les sessions d’enregistrement ont eu lieu à New York en septembre. L’album a été bouclé en quelques jours, et le lancement était prévu quelques semaines avant Noël. Le frère de Dylan, David, a toutefois convaincu Bob que certaines pièces pouvaient être meilleures. Dylan est donc retourné en studio dans son Minnesota natif à la fin du mois de décembre. Cinq des dix chansons ont finalement été réenregistrées et Columbia a fait paraître l’album le 20 janvier 1975 (quatre des cinq versions new-yorkaises sont disponibles; trois sur « The Bootleg Series, Vol. 1-3 » et une sur la compilation « Biograph »). L’une des chansons les plus connues de Dylan ouvre l’album, soit la superbe Tangled Up In Blue. Mené par d’insistantes guitares acoustiques, Dylan nous livre une histoire d’amour et de sexe qui semble défier le temps et l’espace, passant d’un lieu à un autre et de la première à la troisième personne d’une ligne à l’autre. La magnifique ballade acoustique Simple Twist Of Fate est une des plus déchirantes de l’album, racontant comment deux amoureux peuvent se perdre de vue dans des circonstances qui ne dépendent souvent pas d’eux : « I still believe she was my twin, but I lost the ring. She was born in spring, but I was born too late. Blame it on a simple twist of fate ». Sur l’émouvante You’re A Big Girl Now, on sent le regret habiter Dylan alors qu’il chante une phrase comme celle-ci : « Time is a jet plane, it moves too fast. Oh, but what a shame if all we’ve shared can’t last ». Idiot Wind est certainement l’une des chansons les plus mesquines que Dylan ait jamais écrites. Durant près de huit minutes, avec l’orgue qui fait la mélodie, il se vide le cœur de manière brutale et mesquine : « You’re an idiot, babe. It’s a wonder that you still know how to breathe ». Après avoir déversé toute sa haine, il reconnaît finalement ses torts vers la fin de la pièce : « We’re idiots, babe. It’s a wonder we can even feed ourselves ». Idiot Wind est une des chansons que Bob a réenregistrées au Minnesota. La version de New York, disponible sur « The Bootleg Series, Vol. 1-3 », est autrement plus calme et presque sereine. On peut présumer que les quatre mois qui séparent les deux versions ont été éprouvants, puisque Dylan a une rage et une urgence dans la deuxième qu’il n’a pas dans la première. You’re Gonna Make Me Lonesome When You Go est une jolie ballade acoustique avec une belle introduction d’harmonica et un propos triste, alors que Meet Me In The Morning sonne très blues, mais avec un thème encore lié à la rupture amoureuse : « They say the darkest hour is right before the dawn, But you wouldn’t know it by me. Every day’s been darkness since you been gone ». La très entraînante Lily, Rosemary and the Jack of Hearts est une fable complexe qui mêle amour, jeu et crime. Au tempo lent et avec un orgue qui la survole, If You See Her, Say Hello est une des plus belles chansons de l’album. La prestation vocale de Dylan est géniale, on sent toute la douleur, puis la résignation de l’amoureux : « If you get close to her, kiss her once for me. I always have respected her for busting out and gettin’ free ». Avec seulement une guitare acoustique et une basse, Shelter From The Storm est très mélodique, et le texte est métaphorique. Aussi très minimaliste dans les arrangements, Buckets Of Rain conclut l’album de manière triste : « Everything about you is bringing me misery ». Il déclame finalement cette morale d’un réalisme cynique : « Life is sad, life is a bust, All you can do is do what you must ». « Blood On The Tracks » va souffler ses 40 bougies dans quelques mois, mais il n’a pas pris une ride. Ses thématiques sont évidemment éternelles et sa poésie compte parmi les plus grandes réussites de la musique populaire. Les arrangements musicaux sont aussi très efficaces, à l’occasion dépouillés (surtout dans le cas des enregistrements faits à New York), et plus étoffés quand le besoin se fait sentir. Il en résulte un album cohérent et merveilleusement bien équilibré musicalement. La richesse des textes et la diversité de ses angles d’attaque l’empêchent aussi de devenir redondants. On ne s’ennuie pas une seconde sur cet album. On en redemande même. BOB DYLAN Blood On The Tracks (Columbia, 1975) -Genre : folk-rock -Dans le même genre que Woody Guthrie, Bruce Springsteen, Bright Eyes Lien vers l’achat en ligne (iTunes) Lien vers la page Facebook de l’artiste BOB DYLAN : Honnête et émouvant Originalité90% Authenticité100% Accessibilité90% Direction artistique100% Qualité musicale95% Textes100%96%Overall ScoreReader Rating: (2 Votes)98%Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments