Aussi rock que traditionnellement turc, ERKIN KORAY consacre sa carrière, entamée en 1957 lorsqu’il a fondé ce qui est considéré comme le premier groupe de rock and roll à avoir vu le jour en Turquie, à l’exploration des liens entre le rock et les sonorités typiques de son pays. « Meçhul: Singles And Rarities » se concentre sur les 45 tours que Koray a fait paraître dans les années soixante-dix, décennie hautement productive pour le chanteur, guitariste et virtuose du baglama qui était alors au faîte de sa popularité.

Sa célébrité d’alors ne fut pas acquise facilement: adoptant l’idéologie hippie et ayant laissé pousser ses cheveux comme plusieurs le faisaient alors, il s’est non seulement heurté aux valeurs de la société turque d’alors, mais la compagnie de disques avec laquelle il travaillait lui a imposé de s’en tenir à enregistrer des 45 tours jusqu’en 1973, année qui vit la sortie d’un premier album digne de ce nom, mais qui était en réalité une compilation de pièces déjà parues.

 

« Meçhul: Singles And Rarities », compilé par Sublime Frequencies en collaboration avec Erkin Koray lui-même et ses propres exemplaires de ses disques, débute avec quatre chansons sorties en 1970, et la pièce éponyme ouvre les festivités en nous plongeant tête première dans le rock arabesque, musique enfumée qui unit le rock psychédélique aux sonorités modales de la musique populaire turque. La lourdeur du rock est bien perceptible, assortie d’un fuzz aussi perçant qu’un rayon laser et d’un wah-wah luxuriant, mais arrivés à Kendim Ettim Kendim Buldum, on devine que l’on n’est pas en présence d’un groupe américain ou anglais qui aurait particulièrement réussi sa fusion de l’est et de l’ouest, mais bien d’un musicien qui a autant absorbé des masses de Jimi Hendrix et de Dick Dale (l’influence surf-rock foisonne sur la première moitié du disque) qu’aux grands maîtres du baglama tel Arif Sag, et dont la maîtrise des musiques folkloriques turques est toujours bien en évidence.

 

Goca Dunya, qui débute avec quelques lignes interprétées de main de maître au baglama, témoigne des années de transition d’Erkin Koray: la guitare n’est plus à l’avant-plan en toute circonstance, les pédales à effets sont utilisées avec plus de parcimonie, et les influences moyen-orientales occupent une place grandissante et se précisent. Ces faits annoncent les couleurs d’« Elektronik Türküler », album paru en 1974 et considéré comme le magnum opus d’Erkin Koray, mais Krallar, publiée en 1974 elle aussi, se ressent comme un rappel de la passion qu’a Koray pour le rock: franche, directe et sans compromis, elle constitue la chanson la plus occidentale de l’album, et elle n’a rien à envier au moindre tube de rock progressif qui soit.

 

À partir de Cumbur Cemaat, parue en 1976 à l’époque de l’album « Erkin Koray 2 », le psychédélisme se raffine et se marie davantage à l’héritage turc de Koray en laissant au rock une place plus discrète; le baglama électrifié et traité avec une couche délicate de phaser est aussi convaincant que la guitare électrique qui vient relever Hadi Hadi Ordan et ses airs de chants traditionnels, mais ce sont l’instrumentation et les sonorités choisies qui nous signalent que Koray demeurait à l’affût de nouvelles idées, et qu’il n’entendait aucunement à s’asseoir sur ses lauriers de rock star en chef de la Turquie.

Le disque s’achève tout en élégance avec les riches envolées fluides des cordes soutenues par une guitare électrique chaudement distorsionnée de Sevdigim, le guitariste optant pour les sonorités modales primordiales dans les musiques turques traditionnelles afin de relever l’élégance d’un morceau qui a, de prime abord, tout d’un rock des plus basiques.

 

Voilà donc l’essence de « Meçhul: Singles And Rarities » : là où la compilation éponyme de 1973 rassemblait des pièces qui témoignaient des premières années discographiques d’Erkin Koray de même que de ses explorations les plus audacieuses et psychédéliques, celle-ci complète le tour d’horizon des années 1970 d’Erkin Koray en permettant au néophyte de suivre l’évolution chronologique du musicien autant que d’offrir à l’initié des chansons qui n’étaient jamais reparues. À découvrir pour les mordus des musiques du Moyen-Orient, les passionnés de tout ce qui s’apparente de près ou de loin à l’idée de <> et au psychédélisme, et à tous ceux qui se demandent si le rock a encore quelque chose d’inouï à leur proposer.

ERKIN KORAY
Meçhul: Singles & Rarities
(Sublime Frequencies, 2011)

– Genre: rock psychédélique, rock anatolien, rock arabesque.
– Dans le même genre que Omar Khorshid, Baris Manço, Selda.

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Blogueur - RREVERB

Non content d'être un boulimique du rock, un obsédé du jazz, un fervent du saxophone et un adepte du 'crate digging' avec un oeil toujours tourné vers les musiques du monde, Guillaume s'adonne également à l'étude de la musique, et passe ses temps libres à l'enseigner et à en jouer avec son groupe de rock psychédélique Electric Junk.