Parmi les gens les plus passionnés par la musique, il y a ceux et celles qui travaillent dans l’industrie: chez les labels, les relationnistes de presse, les promoteurs de concerts, les gestionnaires de salles de concerts, les journalistes culturels, etc. RREVERB propose une série d’entrevues avec les artisans passionnés de la musique. Cette semaine, rencontrons… MICHAEL CHRISTOPHE Quel est votre nom, quel est votre rôle dans l’entreprise musicale où vous travaillez, et depuis quand y œuvrez-vous? D’où êtes-vous et où vivez-vous maintenant? Je m’appelle Michael CHRISTOPHE, je dirige un label de musiques du monde établi en Guyane française et un autre établi à Montréal. Je produis aussi des festivals en Guyane (TransAmazoniennes) et au Canada (www.mondokarnaval.com). Enfin, je fais tourner mes artistes à travers le monde, et d’autres artistes internationaux comme Alpha Blondy en Amérique du Nord. J’ai travaillé en Guyane française de 1990 à 2009, et je suis maintenant installé à Montréal depuis 2009. Quand avez-vous commencé à travailler dans l’industrie musicale? J’ai commencé en 1990 : à la base, j’avais monté une troupe avec des amis afin d’animer la commune de Saint Laurent du Maroni, à la frontière entre le Surinam et la Guyane française. Puis très rapidement, je me suis rendu compte que cette région regorge de talents qui méritent d’être connus et reconnus. Le fleuve Maroni Quand avez-vous commencé à aimer la musique? Je suis percussionniste depuis l’adolescence. Mon père, guadeloupéen, m’a élevé « en musique » : musiques caribéennes surtout (zouk, compa, reggae…). Plus tard, après avoir découvert des groupes tels que Led Zeppelin, Pink Floyd, Yes, je suis devenu batteur. À 20 ans, quel était votre rêve (dans le domaine musical)? À 20 ans je commençais à peine à travailler dans l’industrie musicale. Il y avait à Saint Laurent du Maroni un ancien bagne, que la Ville pensait parfois à raser. (C’est ce bagne dans lequel s’est déroulée une grande partie de l’histoire de « Papillon » où un film a été tourné avec Dustin Hoffman et Steve Mc Queen). Je rêvais de réhabiliter ce bagne en lieu de spectacles, en pôle culturel. Et c’est ce que j’ai commencé à faire, en y accueillant des artistes dont j’étais fan depuis l’adolescence (dans le milieu du reggae surtout). Avez-vous été musicien/enne? Racontez-nous votre carrière. Je joue de la musique depuis longtemps. En Guyane, j’ai tourné avec plusieurs groupes, puis j’ai fini par faire des concerts de rock dans les villages Bushi Nengue (descendants d’esclaves rebelles, qui se sont enfuis sur les bords des fleuves amazoniens, là où ils vivent encore aujourd’hui, 400 ans plus tard). Mais ces expériences n’avaient rien de professionnel : le but était plutôt « éducatif » : il s’agissait de faire découvrir d’autres musiques aux habitants SUR L’INDUSTRIE MUSICALE En vivez-vous? Est-ce que j’en vis ?… Vaste question !!! Je dirais que depuis plus de 23 ans, je n’ai jamais fait autre chose, alors je suppose que oui, j’arrive à en vivre. Mes revenus principaux proviennent essentiellement de mes activités de booking et de producteur exécutif de festivals. La plupart des projets artistiques que je développe ne sont pas très rémunérateurs, mais ils me permettent de continuer à tisser des ponts à travers le monde. Est-il encore possible aujourd’hui de gagner sa vie dans l’industrie musicale? Que faut-il faire pour y arriver? Avec de la détermination et de la passion, tout reste possible. Disons qu’avec l’évolution du multimédia et la démocratisation de l’accès à l’enregistrement, la production s’est densifiée, la création s’est intensifiée et les acteurs se sont multipliés. La dématérialisation entraine aussi une nouvelle économie du secteur, avec des possibilités de diffusions extraordinaires… en d’autres termes, il faut être polyvalent pour survivre dans ce milieu : il faut savoir assumer plusieurs rôles : diffuseur, promoteur, producteur, distributeur, éditeur, tourneur… Quelle(s) rencontre(s) a(ont) été déterminante(s) dans votre carrière dans l’industrie musicale? J’ai eu la chance de rencontrer très tôt une grande dame qui s’appelle Hélène Lee (ancienne critique reggae phare du journal Libération). Elle m’a ouvert beaucoup de portes et présenté à beaucoup de monde. Puis j’ai aussi rencontré des artistes qui ont depuis rejoint mes labels : Chris Combette, Prince Koloni, Little Guerrier… Enfin, il y a eu aussi tous ces artistes internationaux, que j’écoutais plus jeune, et avec lesquels j’ai eu la chance de travailler : Jimmy Cliff, UB40, Burning Spear, Alpha Blondy… pour n’en citer que quelques-uns Qu’aimez-vous dans votre emploi / occupation actuelle? La liberté de pouvoir continuer à travailler sur les projets qui me tiennent à cœur : c’est un luxe aujourd’hui ! Est-ce bien différent de promouvoir un artiste ou festival en Guyane française comparé à Montréal? Je dirais que c’est plus « confortable » à Montréal. On a tout le panel des technologies et compétences nécessaires disponibles sur place. En Guyane, il faut encore tout emmener ou importer (parfois même l’électricité, l’eau et Internet), y compris les compétences. On lance des fusées qui transportent des satellites de communication, au-dessus d’un village traditionnel, sans murs aux maisons et où le téléphone portable ne passe pas ! Par contre, force est de constater qu’en Guyane, la musique fait partie intégrante du mode de vie, et les pratiques sont très fortes à travers toutes les différentes communautés cohabitantes. En découlent une qualité indéniable et une variété impressionnante, ce qui rend le travail des labels sur place passionnant et motivant. Cependant, on ne peut pas dire que la Guyane soit un carrefour (1 ou 2 compagnies aériennes desservent ce territoire), ni très peuplée (quelque 300 000 habitants sur quelques 94 000 km2 de territoire en Amazonie, parmi lesquels plus d’une quinzaine de langues maternelles sont parlés chaque jour). Il est donc évident qu’en terme de marché, Montréal a plus de potentiel 😉 Que changeriez-vous de l’industrie musicale d’aujourd’hui? La démocratisation a du bon dans le sens où les chemins sont ouverts à tous. Mais par conséquent, les chemins sont aussi ouverts « aux mauvais ». Malheureusement, les médias et autre majors arrivent à rendre célèbres « les mauvais » au détriment de vrais artistes talentueux qui restent dans l’anonymat. Les goûts sont subjectifs, certes, mais si je pouvais, ne seraient mis en lumière, que les artistes talentueux, qui on quelque chose à dire et à transmettre… pas tous ces artistes « commerciaux » qui envahissent nos ondes à longueur de journée. Comment distingue-t-on un artiste « mauvais » d’un « bon »? Globalement, les mauvais artistes sont les artistes « pré fabriqués », soit statistiquement et potentiellement, 80% de ce qui est diffusé dans le monde. Ces 80% sont signés chez 4, voire 5 majors qui détiennent 70 à 80% du marché mondial à elles seules. Ces majors ont plus intérêt à « fabriquer » un artiste qu’elles peuvent contrôler complètement, plutôt que de signer avec un artiste engagé ou autonome, qui ne leur cèdera pas l’intégralité de ses droits (et qu’elles ne contrôleront donc pas tout à fait). (…) Ce qui explique en grande partie cette « uniformisation » globale de la musique à laquelle nous assistons, et cette « classification mondiale » de la musique (rendant la communication et la vente plus faciles d’un pays à un autre). De nombreux artistes talentueux restent méconnus, car ils ne répondent pas aux critères de cette classification mondiale, ou parce que leur sonorité ne correspond pas aux normes établies par les majors et diffusées par les médias. Le reste des 20% du marché mondial se partage dans une fantastique diversité, en quantité exponentielle, parmi la multitude de labels, indies et autres artistes en autoprod, qu’a engendré l’ère numérique. Et il y a de tout dans ces 20% là : de l’authentique, de la qualité, du mauvais, de l’irréel, de l’improbable, des perles… Je ne prétends pas pour autant qu’il n’y a pas de bons artistes « starisés », mais j’affirme que dans notre réalité 2.0, il est difficile de croire que les artistes les plus en vue dans nos médias, le sont seulement grâce à leur talent. (…) Malgré ce tableau noir, l’expérience m’a montré qu’il existe de bons artistes partout, dans les moindres recoins, soit parce qu’ils ont du talent, soit parce qu’ils ont cette sensibilité particulière qui leur permet non seulement de capter notre monde avec un œil différent, mais surtout parce qu’ils sont capables de communiquer ce ressenti, au travers un texte, au travers un instrument, soit parce qu’ils ont appris et travaillé fort, soit parce qu’il s’agit d’une pratique culturelle forte, d’une pratique authentique, traditionnelle… La bonne musique existe partout : quels que soient les goûts de chacun, la qualité, tout comme le talent, s’impose à tous. On dit que le génie est dans la simplicité : c’est souvent vrai pour la musique. Mais pas que! Quel grand rêve n’avez-vous pas encore accompli? Faire en sorte que mon travail au travers des labels puisse être suffisant pour faire vivre tous mes artistes et toute la chaine d’intervenants qui gravitent autour de la promotion de leur musique. Organiser un concert des Red Hot Chili Pepper dans le bagne de Saint Laurent du Maroni. Le vinyle, la cassette, le CD ou le digital? Par défaut, je dirais digital. J’ai grandi avec les cassettes et les vinyles, mais à l’heure de la dématérialisation, faut-il être résistant ? SUR LES ARTISTES ET LA MUSIQUE Vos styles de musique préférés? Est-ce que ç’a toujours été le cas dans votre vie? J’écoute beaucoup de reggae et de rock : d’aussi loin que je me souvienne, ce fut toujours le cas. Mais je reste très curieux des « musiques du monde » (vocable que je déteste) : le monde regorge de musiques fantastiques, grâce auxquelles, la découverte reste permanente. Sur une île déserte, vous emmèneriez ces 5 albums (pas plus). Yes : The Yes Album Nina Simone : Little Girl Blue Led Zeppelin : Remasters Pink Floyd : Live at Pompeï Bob Marley : Uprising Playlist! Quel est l’artiste le plus sympathique que vous ayez rencontré? Alpha Blondy et Jimmy Cliff me bluffent par leur simplicité, leur accessibilité alors qu’ils sont quasiment des légendes vivantes Qu’est-ce qui rend un artiste désagréable? Pouvez-vous raconter une situation qui vous est arrivée où il y avait malaise, ou un comportement désagréable. Je me suis disputé fort avec Buju Banton, cet artiste jamaïcain qui revendique ses racines « Bushi Nengue » (marron) à qui veut l’entendre, mais qui refusait de prendre la pirogue, le moyen de locomotion de ses ancêtres, pour traverser le fleuve et donner son concert. Quel artiste brillant aurait dû percer davantage, selon vous? Ha, il y en a tellement : Jeff Buckley, Clinton Fearon, Eddie Louis… et ceux de mes catalogues !!! Qui aimeriez-vous rencontrer? Jay Z… sinon, Jim Morrison, Janis Joplin, Nina Simone, Jeff Buckley, Bob Marley 😉 Merci Michaël! Pour rester au fait des activités de notre invité cette semaine, cliquez sur les logo ci-dessous. Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments