Ahh, un nouvel album de PJ Harvey! Pour les fans jamais rassasiés par l’art de l’une des auteures-compositrices-interprètes les plus importantes des 20 dernières années, c’est toujours un moment fort attendu. Un peu comme un nouvel album de Radiohead (sauf que leur nombre de fans est plus grand). Il a fallu cinq ans à Polly Jean Harvey pour donner une suite à « Let England Shake », autre pierre importante dans l’oeuvre de la musicienne maintenant âgée de 46 ans. Voici enfin « The Hope Six Demolition Project ».

C’est d’ailleurs une suite très tangible qu’on peut percevoir de « Let England Shake » à « The Hope Six Demolition Project », paru le 15 avril dernier, soit la veille du fameux Record Day, accentuant davantage le Noël des mélomanes. Musicalement, PJ Harvey a pondu son album le plus dense: un mur de guitares, de percussions, mais aussi de cuivres (The Ministry of Defense) appuie les propos de plus en plus politiques et écologiques de l’Anglaise. Comme sur le disque précédent, les acolytes de Harvey chantent en choeur, équilibrant la lumineuse voix féminine (Near the Memorial to Vietnam and Lincoln).

Moment magique sur The Orange Monkey: la voix de Harvey est camouflée parmi celles des hommes qui l’entourent, et elle se distingue graduellement d’eux, pour finalement mener le bal. Ce court titre comporte en plus des éléments mélodiques qui la rendent plus accessible.

 

C’est encore une fois la garde rapprochée de PJ qui a travaillé aux arrangements de ces onze nouvelles chansons: Flood à la réalisation, John Parish aux guitares, claviers accordéon, Mick Harvey aux percussions, claviers et basse et Jean-Marc Butty, aux percussions. Cette même bande a oeuvré sur « Let England Shake » et, sans Butty, sur les excellents “To Bring You My Love” (1995), « Is This Desire? ». PJ y joue bien sûr la guitare électrique, mais aussi les saxophones ténor et alto, l’harmonica basse et l’autoharp.

Si, pour une fois, Harvey n’a pas effectué un autre de ses virages à 180 degrés en changeant de style (musical, de look, vestimentaire, etc.), c’est l’ajout d’un projet artistique unique qui change la donne cette fois-ci.

PJ Harvey looks

 

Le titre même de l’album fait référence au projet « Hope VI » qui aurait pour but d’évincer les populations pauvres et violentes des villes américaines en démolissant les habitations modestes pour faire place à des logements plus luxueux, déplaçant ainsi le problème (au lieu de tenter de le résoudre). L’inspiration de l’album vient d’une visite à Washington D.C. où son ami le photographe et cinéaste Seamus Murphy lui fi visiter certains quartiers. « The Hope Six Demolition Project » fut écrit en même temps que son recueil de poésie « The Hollow of the Hand », inspiré par ses voyages au Kosovo, en Afghanistan et à Washington, entre 2011 et 2014. Les autorités de la ville ne furent pas enchantées par le portrait négatif que l’artiste fit de la capitale américaine.

Le processus d’enregistrement fut assez unique : Harvey et ses proches collaborateurs John Parish et Flood s’enfermèrent dans une salle vitrée, ouverte au public (eux la voyaient, mais pas l’inverse) au Somerset House, à Londres. Durant ces sessions de 45 minutes, PJ Harvey y travaillait ses compositions, parfois seule, parfois accompagnée.

 

Il y a aussi plus de saxophone que jamais dans plusieurs morceaux du 11e album de PJ Harvey, dont on peut saluer encore une fois la grande palette des styles explorés. Les albums “Rid of Me” (1993), grunge punché, “White Chalk” (2007), en solo au piano avec voix éthérée, et “Is This Desire?” (1998), presque lounge par moments, sont si différents qu’ils auraient pu être signés par différentes entités. Des morceaux comme River Anacostia, minimaliste comme aux jours de It’s You, se dégustent sans accompagnement. Des percussions étouffées supportent le chant mystérieux de PJ Harvey.

PJ aime se surprendre et explorer. Très peu de ses travaux sont des échecs, bien au contraire. Peut-être que certains projets sont plus difficiles d’accès, comme “Dance Hall at Louse Point”, en duo avec son complice de toujours, John Parish, beaucoup plus ardu pour l’oreille. Mais comment reprocher quoi que ce soit à “Stories from the City, Stories from the Sea” (2000), “To Bring You My Love” (1995) qui sont de réels chefs-d’oeuvre ou les excellents “Uh Huh Girl” (2004), “Let England Shake” (qui lui a valu son second Mercury Prize en 2011, ce qui fut la première fois qu’un ancien lauréat en remporte un second!).

 

Est-ce que « The Hope Six Demolition Project » est un incontournable de PJ Harvey? L’album de sa vie? Non, quand même pas. C’est certainement un album qui montre la profondeur de son travail. Des morceaux comme River Anacostia sont passionnants à écouter pour tout ce qui se passe musicalement dans ce morceau minimaliste, un peu tribal, mais planant à la fois. À bien des égards, PJ Harvey est aussi solide que Radiohead et Sigur Rós.

Seule constance dans l’immense oeuvre de PJ Harvey, il va falloir plusieurs écoutes pour faire le tour de cet album, pour creuser chaque sillon, lire chaque vers, comprendre le sens, le second degré… Ça va se faire dans le temps.

pj harvey the hope six demolition project

PJ HARVEY
The Hope Six Demolition Project
(Island, 2016)

-Genre: rock alternative

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Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.