hubert felix thefaine

Les fans finis du grand artiste qu’est Hubert Félix Thiéfaine s’étaient donné rendez-vous dans la magnifique salle intimiste qu’est le Gésù, à Montréal hier soir, où le vétéran de la chanson se produisait pour la première fois en 15 ans. La rareté fait l’événement, mais la stature de l’artiste y est aussi pour quelque chose!

Thiéfaine, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est 40 ans de carrière passés en marge de la chanson commerciale, surtout en Europe francophone. 40 ans à délirer, rigoler, s’extasier, plonger dans le vide, explorer les bas-fonds, déprimer et resurgir l’an passé avec “Supplément de mensonge”, un album qui lui vaut deux prix Victoires de la Musique majeurs: ceux d’Interprète masculin et de Disque de l’année 2012. Une sorte de résurection inattendue, qui a surpris le principal intéressé, peu habitué aux statuettes et aux galas…Finalement lancé au Québec cette semaine, le 16e album studio de la longue carrière du poète de 64 ans a été salué par les médias de masse (finalement!). Thiéfaine, depuis ses débuts en 1976, compte sur une horde de fans (en France, Suisse, Belgique, mais très peu le connaissent au Québec) qui le suivent quasi religieusement, décortiquant ses mystérieux textes, interprétant ses parfois glauques et souvent sombres émotions. L’art de Thiéfaine est si dense qu’on peut y lire différentes choses selon son propre état d’esprit et son degré d’analyse. N’est-ce pas là le propre des grands créateurs que de laisser l’autre disposer de son travail, de le laisser résonner dans son propre vécu?

Ce grand poète au regard perçant nous a servi ses inlassables classiques que sont la belle désespérée Lorolei Sebasto Cha et la noire Soleil cherche futur en début de soirée, au milieu de pièces plus récentes tirées du dernier opus, que le public montréalais a dû apprivoiser un peu à froid, telles Infinitives voiles, La ruelle des morts, Les ombres du soir et Lobotomie sporting club, avec laquelle il a terminé la soirée, scandant à répétition « fin programmée! ».

http://www.youtube.com/watch?v=uUd0wO6qKpM

 

On peut certainement déprimer avec lui lorsqu’il chante l’hymne à la mort qu’est Alligators 427, un texte sombre et cynique servi sur un rock pressurisé à la Nick Cave & the Bad Seeds. À la différence du poète australien (qui nous a aussi rendu magnifiquement visite cet hiver), il n’y a pas de violence ni de meurtres chez Thiéfaine. Dans son œuvre, les dingues et les paumés sont des bouées de sauvetage ou des naufragés qu’il comprend et non des victimes de meurtres horribles comme dans l’œuvre de Cave. Mais au niveau intensité et plume, ceux-là se rejoignent.

L’homme nous est apparu en grande forme physique et mentale: l’étincelle nécessaire pour entrer dans l’univers du Chant du fou était bel et bien dans l’œil malicieux d’Hubert Félix. Il était agréable de croiser le regard bleu métallique de cet artiste survivant. Pas de show de routine pour ce vétéran. Il livre la marchandise avec tout le respect que ces grandes chansons méritent, en allant puiser dans l’univers dans lequel il les a conçues, ce qui ne doit pas toujours être un joyeux moment.

Thiéfaine n’aura commis qu’un seul faux pas, celui de présenter une chanson étrange et dissonante basée sur son passage au Québec, dans laquelle il utilise des termes de navigation pour décrire son avancée dans le fleuve (ou du moins c’est ce que j’en ai compris… On reverra ça sur son disque). Ça s’appelle Québec november hotel et c’est une maladroite tentative d’utiliser certaines expressions d’ici. Les musiciens anglais qui l’accompagnaient étaient tous grisonnants et vêtus de t-shirts noirs tels de vieux routiers punk new wave. Seul le guitariste était plus flamboyant, enterrant malheureusement souvent les mots de son leader. Un mauvais jugement de sa part étant donné le type d’artiste qu’il accompagne. La facture de cette performance était définitivement rock, axé sur les guitares électriques, avec une bonne pesanteur lorsque nécessaire, comme sur Sweet Amanite Phalloïde Queen, 113e cigarette sans dormir et les morceaux plus récents et moins connus.

 

Une seule déception : trop de grandes chansons manquaient à l’appel. Certes, le sexagénaire a performé pendant deux bonnes heures, on ne peut s’en plaindre, mais où étaient les Mathématiques souterraines, Errer Humanum Est, L’Affaire Rimbaud, Bipède à station verticale, Femme de Loth, Une fille au rhésus négatif,  Narcisse 81, Groupie 89 Turbo 6, Je t’en remets au vent, La Vierge au Dodge 51, L’Ascenseur de 22h43, La cancoillotte, La dèche, le twist et le reste… Même la plus récente Ballade d’Abdallah Géronimo Cohen et les Confessions d’un never been auraient eu leur place au milieu de quelques raretés comme L’Homme politique, le roll-mops & la cuve à mazout ou Enfermé dans les cabinets (avec la fille mineure des 80 chasseurs)… Ahhh, il aurait fallu une seconde soirée avec un tout autre programme!

Oui, l’homme est reconnu pour ses titres de chansons quelque peu… spéciaux, disons!

http://www.youtube.com/watch?v=LjvltAbhn00

 

Voir de visu cette légende que, personnellement, j’admire beaucoup pour la qualité de son œuvre était un grand moment dans ma carrière de mélomane. À l’instar de Nick Cave (pour lequel j’ai la même admiration), le grand mais humble Thiéfaine ne m’a pas déçu, loin de là. L’homme est un grand. L’homme est toujours pertinent. Longue vie à Hubert Félix Thiéfaine.

Deux mots, en terminant, sur Gaëlle, qui nous a offert en première partie vingt minutes de malaise. L’auteure-compositrice-interprète française qui vit au Québec depuis plus de 10 ans expérimentait (improvisait?) une version solo de son tour de chant, dans lequel rien n’a fonctionné: la sonorisation de son piano était déficiente, sa voix incapable de tenir les notes intenses et la maladresse de tenter de taper sur un tambour lorsqu’on n’est pas percussionniste a rendu sa prestation échevelée, faible et inintéressante. Le public était quelque peu médusé devant ce qui se passait devant lui, applaudissant poliment. Seules les chansons intimistes interprétées piano/voix chuchotée et l’utilisation d’ombres chinoises avec projections a soulagé nos oreilles. Dommage pour Gaëlle: elle avait l’occasion de gagner des fans parmi ceux de Thiefaine qui sont attentifs aux paroles et univers particuliers. Un Bori ou une Marie-Jo Therio auraient été tellement plus à propos.

Pour en savoir plus sur Thiéfaine, je vous recommande la page Wikipedia qui lui est consacrée ainsi qu’une visite sur son site officiel où toutes les paroles de toutes ses chansons sont dévoilées. Ayez votre dictionnaire sous la main, vous en aurez besoin!

Ou on écoute cette bio et ces entrevues.

 

Ici, l’intervieweuse est assez superficielle, mais HFT demeure aussi vrai, se livrant sans gêne ni détours.

http://www.youtube.com/watch?v=TiW9YbUQbJg

 

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About The Author

Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.