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On n’espérait plus rien d’Hubert Félix Thiéfaine. Sa carrière musicale avait été remarquable dès ses débuts en 1978 jusqu’à la fin des années 80. De grands albums jusqu’à « Meteo Für Nada » étant sans doute le dernier bon album, bien qu’une bonne coche en dessous des brillants « Autorisation de délirer », « Alambic / Sortie sud » et mon préféré « 713705 cherche futur », l’un des meilleurs opus de 1982.

Depuis, l’homme de la Dôle n’avait jamais atteint de tels sommets. Les années 90 sont extrêmement difficiles pour l’auteur qui se sépare de son acolyte musicien Claude Mairet et file aux États-Unis tenter autre chose. Les années 2000 donneront une lueur d’espoir aux fans patients. Quelques bons moments, quelques éclats (de rire, plus rarement de génie) ici et là comme les chansons Confessions d’un never-been (2005) ou La philosophie du chaos (1996), mais encore une fois, à l’instar des Roling Stones qui ne font qu’un ou deux titres potables par album depuis le milieu des années 70 (ça commence à faire longtemps), HFT ne nous offre qu’une version diluée de son talent. Il va jusqu’à collaborer avec différents compositeurs pour se relancer, certains connus et admiratifs (Cali, JP Nataf, Jérémy Kisling, Mikaël Furnon, d’autres moins (Philippe Paradis, Frederic Lo, Elista, Roberto Briot).

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Et puis arrive ces « Suppléments de mensonge », en 2012 en France (et seulement la semaine dernière au Québec!) qui surprendra tout le monde: le grand public (qui appréciera le premier simple La ruelle des morts dans lequel Hubert Félix raconte son enfance), les médias de masse qui s’y intéressent enfin (il n’a jamais fait autant d’entrevues) et l’industrie (qui le récompense voire l’honore aux Victoires de la Musique avec les prestigieux prix d’Album et d’Interprète masculin de l’année). On pouvait y lire un coup de chapeau à un musicien marginal qui n’avait jamais été célébré dans de tels galas malgré ses 35 ans de carrière bien sonnés. À 64 ans, le premier surpris a dû être Thiéfaine lui-même.

Et qu’allaient donc penser les fans de l’artiste qui attendent un grand album de leur musicien adulé depuis plus de 20 ans?

Eh bien celui-ci, crack de HFT depuis ses 20 ans, aime beaucoup ces « Suppléments de mensonge ». Oui, La ruelle des morts est une chanson qui semble simplette de prime abord, mais il n’en est rien. Tout d’abord, on y rencontre un Thiéfaine plus à découvert, plus exposé que jamais. Sur Infinitives voiles, l’homme partage ses états d’âme sans détour, les deux pieds dans une bonne grosse dépression, dont il a parlé par après. L’homme a été sur le carreau pendant près de deux ans suite à une trop longue tournée.

 

Musicalement aussi, HFT retrouve sa touche avec des arrangements plus subtils et même un brin de folie (Fièvre résurrectionnelle). On a droit à de grands moments comme seul Thiéfaine peut nous livrer. Trouvez-moi un autre chanteur « populaire » qui peut signer de tels vers :

dans son plasma féérique
dans les banlieues d’Hanoï
de Sfax ou de Munich
six milliards de lépreux qui cherchent leur pitance
dans les rues de l’amour en suivant la cadence
mais toi tu cherches ailleurs les spasmes élémentaires
qui traduisent nos pensées comme on traduit Homère
& tu m’apprends les vers d’Anna Akhmatova
pendant que je te joue Cage à l’harmonica

[youtube 91dL2sMwkhc 543 307]

Mais HFT ne tombe plus dans le piège des chansons compliquées, codées et symboliques. Il est aussi capable de se confier cœur et âme sur la douce Trois poèmes pour Annabel Lee, puis de reprendre le collier plus punk burlesque comme il y a longtemps (Garbo XW machine). En concert au Gésu le mois dernier (une rareté!), il avait ouvert la soirée avec la grandiose, mais triste Petit matin 4.10 heure d’été, dans laquelle il avoue sa grande fatigue.
On l’avait jamais entendu chanter de telles choses, aussi personnelles, livrées à la première personne du singulier. Et connaissant l’homme, toujours très authentique en entrevue, il serait étonnant que ce soit un rôle de composition :

mes yeux gris reflètent un hiver
qui paralyse les cœurs meurtris
mon regard vient de l’ère glaciaire
mon esprit est une fleur flétrie
je n’ai plus rien à exposer
dans la galerie des sentiments
je laisse ma place aux nouveaux-nés
sur le marché des morts-vivants
je rêve tellement d’avoir été
que je vais finir par tomber

Bref, oui! Voilà un très bel opus d’Hubert Félix Thiéfaine. L’album de la résurrection, mais pas que. L’album dans lequel il se réinvente, parce qu’il puise en lui aujourd’hui, au lieu de tourner vers son passé, ou vers d’autres horizons. Bravo et merci.

 

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Artiste : Hubert Félix Thiéfaine
Album : Suppléments de mensonge
Étiquette : Columbia

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Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.