Tout juste trentenaire, le Britanno-Colombien Tobias Jesso Jr. aurait plutôt dû être né dans l’immédiate après-guerre. Son premier album, « Goon »,  sorti en mars dernier, aurait pu paraître au début des années 70, à l’époque post-Beatles des Elton John, Harry Nilsson, Carole King, Randy Newman, Emitt Rhodes et compagnie. Le piano est son instrument principal, et les aléas de l’amour sont sa matière première. Ces deux éléments mis ensemble, avec une musique étoffée de superbes arrangements, résultent en un album qui mérite amplement sa sélection dans la courte liste du Prix Polaris.

Tobias Jesso Jr. a cependant dû prendre plusieurs détours avant d’arriver à cet album. Il était bassiste pour la formation vancouvéroise The Sessions,  puis s’est installé à Los Angeles afin de jouer pour la chanteuse pop Melissa Cavatti. Il a commencé à écrire des chansons, qu’il espérait que d’autres artistes interpréteraient à sa place : Jesso avait peu de confiance en ses habiletés vocales. Une rupture amoureuse et un accident de vélo, en plus de sa difficulté à percer le milieu musical, l’ont incité à retourner vivre en Colombie-Britannique en 2012.

Il a ensuite commencé à apprendre le piano en jouant sur celui de ses parents, et s’est décidé à mettre en ligne ses compositions, sur lesquelles il chantait finalement. Plus tard, il a contacté Chet « JR » White, le bassiste et réalisateur du groupe indie-rock Girls. Cette association a permis à Jesso d’obtenir un contrat avec l’étiquette True Panther Sounds. Il a fait appel à quelques autres réalisateurs pour mener à bien son premier album : Patrick Carney (le batteur des Black Keys), John Collins (membre des New Pornographers et Destroyers) et Ariel Rechtshaid (collaborateur de Vampire Weekend et Haim, entre autres).
On peut écouter quelques pièces de « Goon », et, à la fin de la liste de lecture, on pourra aussi visionner un court documentaire réalisé par Pitchfork.

« Goon » est un album très autobiographique, sur lequel Jesso se vide le cœur. On le sent à fleur de peau (et dans le déni) lorsqu’il parle du départ de sa bien-aimée sur la très belle How Could You Babe : « Cause nothing I can say to you could ever ease this pain. I’m just waiting for the day when I can say that you are mine again ». Il se pose d’aussi déchirantes questions sur la magnifique Without You (qui n’est pas une reprise du classique de Harry Nilsson) : « Why can’t you just love me? Should I move on or should I wait? ». L’excellente Hollywood parle de son incapacité à s’établir comme auteur-compositeur dans la cité des anges, alors que Leaving LA aborde plus directement son départ de la Californie. Les arrangements de cette dernière rappellent même les Beach Boys, époque « Pet Sounds ».

Musicalement, les chansons de Tobias Jesso Jr. sont relativement simples, mais ô combien efficaces. À preuve, Can’t Stop Thinking About You, qui ouvre l’album, déploie une superbe mélodie au piano. Ayant pour base un irrésistible motif au clavier, For You étale de sublimes arrangements, présentés de manière nuancée et variée. Un violon qui résonne au loin apporte beaucoup d’émotions à la déchirante Just A Dream. Sur la très belle Can We Still Be Friends, Jesso rappelle Paul McCartney, surtout en l’entendant chanter « Someone let him in »… Pour sa part, la réalisation lo-fi de Bad Words évoque certains moments de John Lennon. Bien que très bonne, la mesquine Crocodile Tears détonne cependant un peu du reste de l’album.

Sans faire dans l’apitoiement et la victimisation, il s’agit d’un album qui peut quand même être un peu lourd par moments, avec le thème de l’amour déchu qui occupe une bonne partie des 46 minutes du disque. L’authenticité des émotions, la force des mélodies et la beauté des arrangements sauvent toutefois quelques tournures maladroites et potentiellement redondantes. « Goon » se veut ainsi une très belle première carte de visite. Tobias Jesso Jr. est certes influencé par les grands des années 70, mais il a quand même trouvé sa voix. Il sait clairement comment s’y prendre pour écrire des chansons qui parlent de problèmes de cœur, et qui viennent directement du cœur.
Soulignons en terminant que Jesso sera au Théâtre Corona le 10 octobre prochain.

tobias jesso jr goon
TOBIAS JESSO JR.
Goon
(True Panther Sounds, 2015)

-Genre : piano-folk
-Influencé par Elton John, Paul McCartney, Randy Newman et Emitt Rhodes

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TOBIAS JESSO JR. : Californie, 1972
ORIGINALITÉ 70%
AUTHENTICITÉ 90%
ACCESSIBILITÉ 85%
DIRECTION ARTISTIQUE85%
QUALITÉ MUSICALE85%
TEXTES 85%
83%Overall Score
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Blogueur - RREVERB
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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.