Cet article est le premier d’une série de deux sur les deux premiers albums de The Band.

Comment The Band a-t-il pu passer d’un plus ou moins obscur groupe de rockabilly et de rhythm and blues à l’une des formations les plus influentes du monde du rock en moins de 5 ans? Le parcours de ces cinq garçons peut surprendre au premier abord, mais ce sont le talent et le travail qui les ont menés bien loin. Avant d’adopter le nom plutôt générique de « The Band », le groupe s’appelait The Hawks et accompagnait le chanteur rockabilly Ronnie Hawkins. En 1964, ils ont quitté Hawkins, et se sont faits connaître en tant que Levon and The Hawks, du nom du leader Levon Helm, qui en était le chanteur principal et le batteur.

Levon, le seul Américain du groupe, était entouré d’autres excellents musiciens, tous Canadiens : le guitariste Robbie Robertson, le bassiste Rick Danko, le pianiste Richard Manuel et l’organiste Garth Hudson. Ils étaient tous des multi-instrumentistes doués et passionnés. Levon and The Hawks a enregistré quelques singles en 1965, mais sans succès. Le vrai point tournant a toutefois eu lieu à l’été 1965. Mary Martin, une secrétaire de l’agent de Bob Dylan, a recommandé à son client un jeune groupe actif dans la région de Toronto. Devant l’insistance de Martin, Dylan a engagé Levon and The Hawks pour sa première tournée électrique, qui devait coïncider avec la sortie de « Highway 61 Revisited », son premier album complètement électrique.

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The Band en 1967, avec Robbie Robertson, Rick Danko, Richard Manuel, Garth Hudson et Levon Helm

Cette tournée ne serait pas de tout repos. Levon a succombé à la pression après quelques spectacles, et est retourné à la maison. Mickey Jones l’a remplacé pour une éreintante tournée mondiale qui a duré jusqu’en mai 1966. Sur les affiches, il était annoncé que le spectacle serait donné par « Bob Dylan and the Band »… Le groupe a acquis une importante et formatrice expérience. Le grave accident de moto de Dylan en juillet 66 a toutefois mis le groupe dans l’incertitude. Le groupe est retourné jouer dans des petits bars, et s’est installé ensuite à Woodstock, dans une coquette maison dont le revêtement extérieur était rose. C’est dans cette demeure que la légende est née.

De juin à octobre 1967, les quatre Canadiens se sont joints à Dylan pour enregistrer ce qui sera plus tard connu sous le nom de « The Basement Tapes » (ils ont été enregistrés au sous-sol de la maison). La série d’enregistrements faits par cette bande de joyeux lurons a marqué une ouverture vers tous les genres de musique américaine, du country au rockabilly, en passant par le rock ‘n’ roll, le blues et le folk. Ces chansons sont restées inédites jusqu’en 1975, mais ont circulé illégalement pendant plusieurs années, aidant à faire grandir la légende. Ces enregistrements, auxquels s’était joint en fin de parcours Levon Helm, ont contribué à faire augmenter les attentes pour un album de ce mystérieux groupe qui n’avait pas encore de nom (lors d’un concert hommage à Woody Guthrie, le quintette a accompagné Dylan sous le nom « The Crackers »). Tous ceux qui attendaient impatiemment ne seraient pas déçus.

Le premier album de The Band se nommera « Music From Big Pink ». Les chansons ont été composées dans la fameuse maison rose, mais, contrairement aux « Basement Tapes », elles ont été mises sur ruban dans des studios de New York et de Los Angeles au début de l’année 1968 avec le réalisateur John Simon. Peu importe, cet album est fabuleux et se veut un grand classique de l’histoire du rock. Paru le 1er juillet 1968, « Music From Big Pink » aura un grand écho et fera sensation. Et avec raison.

L’album s’ouvre avec la superbe Tears Of Rage, l’une des trois pièces écrites ou coécrites par Dylan et provenant des « Basement Tapes ». Manuel et Dylan ont travaillé ensemble sur cette magnifique composition. Manuel offre une superbe prestation, avec sa voix qui fend l’âme : « Tears of rage, tears of grief. Why must I always be the thief? Come to me now, you know we’re so alone. And life is brief ». Les deux autres pièces écrites par Dylan se retrouvent en fin d’album. L’explosive This Wheel’s On Fire a été coécrite par Danko, et c’est lui qui la chante. En conclusion, Manuel se surpasse avec la déchirante I Shall Be Released, écrite seule par Dylan.

Le reste de l’album illustre à merveille l’esprit collaboratif du groupe, peu avant que Robbie Robertson ne devienne la principale force créative du groupe – et que les autres sombrent de plus en plus dans l’apathie, il faut le dire. C’est tout de même une chanson de Robertson qui sera le grand classique de l’album, avec l’impérissable The Weight. Helm et Danko se partagent le chant pour donner forme à cette histoire où la vie de plusieurs personnages s’entrechoquent dans la petite ville de Nazareth, Pennsylvanie. (La version live avec les Staple Singers est également à écouter!)

Robertson a composé trois autres pièces, dont la splendide Caledonia Mission, que Danko chante et qui alterne entre des couplets d’une grande beauté et d’autres qu’on pourrait qualifier de « country funk ». To Kingdom Come est intéressante, mais un peu moins réussie, alors que Manuel partage le chant avec Robertson. Ça sera l’une des rares fois que ce dernier prendra le chant de tête. Mêlant psychédélique et roots rock, déroutante et familière à la fois, Chest Fever débute avec une introduction à l’orgue qui n’est pas sans rappeler la célèbre Toccata et fugue en ré mineur de Bach. Hudson apporte donc une immense contribution à cette chanson, et prouve une fois de plus qu’il est LE musicien du groupe.

Pour sa part, Richard Manuel a composé trois chansons à lui seul. Imagée, In A Station contient un superbe motif au clavier, en plus d’une très belle performance vocale. Helm, Danko et Manuel se donnent la réplique sur l’excellente We Can Talk. La voix de fausset de Manuel, prenante et authentique, est à l’avant-plan sur la superbe Lonesome Suzie, accompagnée par le jeu d’orgue sans faille d’Hudson et la guitare caractéristique de Robertson.

The Weight Music From Big Pink The Band 1968 big pink

The Band devant Big Pink. Levon Helm est assis, avec, de gauche à droite, Garth Hudson, Richard Manuel, Robbie Robertson et Rick Danko

Après des années passées dans l’ombre, dans les bars de Toronto avec Ronnie Hawkins ou en support de Bob Dylan, les cinq musiciens obtiennent maintenant leur chance de briller et ne la ratent pas. Le talent de Danko, Manuel, Helm, Hudson et Robertson est frappant, et la chimie du groupe l’est tout autant. The Band a également la chance de compter sur trois grands chanteurs. Manuel a une voix haut perchée, qui rappelle parfois celle de Ray Charles, alors que Helm et Danko ont des voix plus brutes, mais tout autant magnifiques.

Il faut également se rappeler du contexte de l’époque pour apprécier l’audace du groupe et réaliser l’impact qu’a pu avoir « Music From Big Pink ». Le « Summer Of Love » avait eu lieu à peine l’année précédente, et « Sgt. Pepper » dominait encore les esprits des musiciens anglo-saxons. Face à la surenchère et au vernis musical, The Band oppose une esthétique musicale proto-americana, peu ou jamais entendue à l’époque. Cet album a été marquant pour bien d’autres musiciens, dont George Harrison, Mick Jagger, Pete Townshend et Eric Clapton (ce dernier aurait d’ailleurs voulu dissoudre Cream pour poursuivre une autre voie, proche de celle de l’album). Si « Music From Big Pink » était sorti de nulle part, le prochain effort du groupe allait réaffirmer la position centrale de The Band dans le monde du rock.

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the band music from big pink

THE BAND
Music From Big Pink
(Capitol Records, 1968)

-Genre : Roots rock
-Dans le même genre que Bob Dylan, Neil Young et Van Morrison

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THE BAND : De l'ombre à l'avant-plan
ORIGINALITÉ 100%
AUTHENTICITÉ 100%
ACCESSIBILITÉ 85%
DIRECTION ARTISTIQUE100%
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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.