Dès ses débuts sur la scène musicale au Québec, à la fin des années 90 avec les Faux Monnayeurs*, on connaissait l’histoire de Tomas Jensen. Né à La Plata en Argentine en 1970, il fuira de façon spectaculaire la dictature militaire: son père le “kidnappe” presque, alors qu’il saute dans une voiture en pleine nuit et part vivre au Brésil alors que sa mère, politiquement impliquée, quitte pour le Chili.

Dans la vingtaine, il aboutit au Québec en suivant l’amour. Il forme les Faux Monnayeurs avec des musiciens extraordinaires (alors aussi jeunes que lui) comme Philippe Brault à la basse (aujourd’hui réalisateur des opus de Pierre Lapointe, Salomé Leclerc…), Pierre-Emmanuel Poizat aux clarinettes, saxo (qui joue avec la Fanfare Pourpour, Labess et la LIM), Martin Desranleau aux percus et le multi-instrumentiste Némo Venba (très actif sur la scène de la musique actuelle, au théâtre, etc.). Une belle gang de bohèmes contestataires qui célébraient la vie, la liberté et le soleil, dans la lignée des Mano Negra et Me, Mom & Morgentaler des années précédentes, alors disparus. Une richesse musicale émanait de ce groupe: clarinette, guitares, percussions originales… De très belles années!

 

Le groupe se sépare en 2006 après cinq albums festifs et ensoleillés. Jensen produit ensuite quatre albums solos ou avec d’autres amis (Hombre en 2009). Il devient plus personnel, parlant des beaux moments de l’amour, comme des plus difficiles (« Plus personne », en 2013). Une oeuvre qui navigue entre jolis moments et, malheureusement, une certaine indifférence du public. Mais Jensen ne baisse jamais les bras et continue son chemin de troubadour moderne, socialement impliqué. En 2004, il devient porte-parole de Greenpeace Québec, puis porte-parole des Journées québécoises de la solidarité internationale.

 

Le projet “Retour – musique et exil d’un Argentin expatrié” est un disque, tout en espagnol, ce qui est une première dans le parcours de Jensen à part le projet Hombre, mais aussi un film qui raconte les années argentines de l’homme. Je n’ai pas (encore) vu le film (de Martin Bourgault) mais je comprends que Jensen, à 45 ans, a renoué avec ses frères et soeurs desquels il a été séparé (ceux-là étaient partis vivre avec leur mère) et que des parcours de vie sont confrontés, comparés, recroisés. « Retour » raconte son voyage de deux mois sur sa terre natale, l’enregistrement du disque, la rencontre avec les musiciens argentins et les retrouvailles avec la famille et l’histoire marquée par la dictature et l’exil.

 

Ne parlant pas espagnol, je n’ai pas compris grand-chose aux dix nouvelles chansons de Tomas Jensen. Je peux toutefois vous parler du ton qui s’en dégage. Jensen m’y apparaît toujours intéressé par la révolution (Ernesto – probablement en référence au Che), toujours aussi personnel dans son approche de la chanson, et plus audacieux que jamais dans les styles musicaux explorés. Ainsi Dale duro est plus rock et plus sombre que tout ce qu’il a enregistré depuis 20 ans… bien que cette pièce soit toujours menée par son éternelle guitare classique.

En enregistrant en Argentine, Jensen s’est entouré de musiciens… argentins : Damian Nisenson, saxophoniste, Fernando « Kabu » Kabusacki, guitariste, Mene Savasta Alsina, claviériste et Marina « Kiki » Fage, bassiste. Tous adeptes de rock moderne, presque expérimental.

tomas jensen buenos aires

Sur Dale duro, enregistrée de façon plus brute – ce qui n’est pas sans charme – et longue de plus de sept minutes, les guitares électriques rugissent. Je ne comprends pas les paroles, mais on ressent la tragédie, dans la voix du chanteur invité. La suivante, Del nada, ne contient aucune joie non plus. Telle une prière ou une complainte, on y sent un sombre récit.

Les choses s’allègent sur Perto do mar, du moins musicalement parlant. Les cuivres, saxophones en tête, s’élancent sur les deux accords joués en boucle par Jensen à la guitare classique. Les voix, féminines, enfantines et masculines (très grave) s’ajoutent une à une pour former une chorale unique, hétérogène et assez amusante.

Voici quelques extraits de “Retour”.

 

« Hasta la revolucion » demeure un thème cher à Jensen, ce qui se comprend très bien étant donné son parcours familial. Difficile d’oublier les déchirures vécues à un si jeune âge, pour sauver sa peau. Chez Jensen, ce n’est pas qu’un chant à la mode, c’est un mode de vie, c’est une requête insistante. On sent un Tomas Jensen en paix, sensible mais pas désespéré (Manana) sur ce 9e album en carrière. Son oeuvre a toujours été très personnelle, très collée sur sa vie et ses opinions, mais avec « Retour », on sent que la démarche a été encore plus profonde.

tomas jensen retour cd

TOMAS JENSEN
Retour
(L’Abe, 2016)

-Genre: chanson latine
-Dans le même esprit que Manu Chao, Caetano Veloso

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Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.