Comment rédiger cette critique de disque maintenant que le grand David Bowie est décédé? À peine cet album est-il sorti, rapidement applaudi par la critique, que son auteur nous quitte, en ce 11 janvier 2016, trois jours après le 69e anniversaire de celui qui est né David Jones, à Londres. Après avoir perdu l’un des rockeurs les plus intelligents en Lou Reed l’an dernier, voilà que le plus explorateurs d’entre tous nous quitte à son tour. Il faudra malheureusement s’habituer : les grands musiciens des années 60 et 70 ne se font plus jeunes. On risque d’apprendre de mauvaises nouvelles de plus en plus souvent. Écouter « Blackstar » le jour même du décès de l’un des artistes que je respectais le plus est particulier. Mon opinion de cet album sera forcément teintée de ce que je sais maintenant : cet album est son testament. Il l’a conçu en sachant qu’il était condamné. Combien d’entre nous ont eu, ou auront ce « luxe » de pouvoir envoyer un dernier message, d’avoir les moyens de réaliser une dernière œuvre? Je ne sais pas comment ça s’est passé durant les 18 derniers mois de sa vie, s’il s’est pressé à écrire, si ce matériel était déjà écrit, prêt ou même en partie prévu, mais il a certainement été finalisé en connaissance de cause. Chose certaine, David Bowie aura préparé sa sortie avec éclat, classe et un effet non négligeable de surprise. Personne n’a su qu’il combattait un cancer avant son décès. Personne n’a vu venir la nouvelle. Déjà, à la première écoute, deux chansons se démarquent. Lazarus est une chanson qui a dû être difficile à écrire, tellement elle semble venir de l’au-delà. Elle est triste, mais pas pleurnicharde. Les guitares acérées et puissantes font le contrepoint de la voix, toujours impériale et fluide, de Bowie. Un autre grand moment de la carrière de cet immense musicien. Un moment plus improvisé, presque un jam jazz où le sax de Donny McCaslin s’élance. Le tout se calme pour reposer le tout. Gageons que cette chanson clôturera les éventuelles compilations de la carrière de l’artiste. Lazarus impressionne dès les premiers vers : “Look up there, I’m in heaven / I’ve got scars that can’t be seen / I’ve got drama that can’t be stolen / Everybody knows me now.” Blackstar est l’autre point marquant évident. Cette chanson s’annonce complexe avec sa mélodie lente qui contraste avec le rythme effréné du batteur Mark Guiliana. La grâce arrive après de longues et intenses minutes alors que la pièce prend une tout autre tournure. Bowie insuffle une dernière fois une touche pop élégante, avant de replonger dans la mélodie initiale, mais cette fois sur un rythme aérien. Par magie, il combine les deux mouvements précédents, pour boucler la boucle. « Blackstar » est un album complexe, assez touffu, très intense. Les saxophones du jazzman Donny McCaslin sont omniprésents, parfois étourdissants et stridents. Un autre musicien jazz, le guitariste éclectique Ben Monder, de New York, amène une subtilité et une profondeur intéressantes. Une musique qui nécessite plusieurs écoutes pour bien comprendre, bien absorber chaque moment. Le genre d’album qui évolue avec les écoutes. Le genre d’arrangements et de détails qui se dévoilent au fil du temps. Au piano et claviers, on retrouve un autre fan de jazz, Jason Linder alors que la basse est tenue par Tim Lefebvre. Une fois de plus, Bowie s’est entouré de nouveaux musiciens, pour fouetter sa propre créativité. Le réalisateur complice des débuts, Tony Visconti, est derrière la console. Seul le temps nous dira objectivement où se classe « Blackstar » dans la discographie du Thin White Duke. Aujourd’hui, on applaudit l’œuvre et il serait bien mal vu de démolir son chant du cygne. Mais, je ne crois pas que personne n’aura raison de dire du mal de cet opus, le 25e de la glorieuse carrière. C’est bien plus qu’un album de musique, c’est le testament d’une vie, rédigé par un homme qui se sait condamné. Un grand musicien nous a quittés. Un artiste qui a toujours eu un grand besoin de créer, d’aller plus loin de se mettre en danger pour se challenger et pour secouer son écriture. Le vide qu’il laisse est immense. DAVID BOWIE Blackstar (ISO / Sony, 2016) -Genre: rock Lien vers la page Facebook de l’artiste Lien vers la chaîne YouTube de l’artiste Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments