Ça fait plus de 40 ans qu’Hubert-Félix Thiéfaine partage son imaginaire déjanté, voire halluciné à travers sa musique, et encore plus, ses vers. Peu d’auteurs rock francophones utilisent un vocabulaire de la qualité de Thiéfaine. Peu, dans la Francophonie entière, toutes époques confondues, peuvent se vanter de faire rocker des mots tels Burgenbräukeller, caboulots, préambule, stalactites ou intituler un tube Sweet amanite phalloïde queen… Non, il n’est pas un auteur commun.

Mais si l’oeuvre de Thiéfaine – dont je suis un fan inconditionnel – est géniale, elle est aussi parsemée de bas. Des albums absolument fascinants, et d’autres parfaitement oubliables. Le petit dernier, “Stratégie de l’Inespoir”, paru en 2014 en France mais passé complètement inaperçu au Québec*, n’a malheureusement pas l’aura des meilleurs moments du musicien né dans le Jura, en 1948. Certainement, il y a quelques titres plus inspirés que d’autres, comme Karaganda (Camp 99) qui peint un sombre portrait de cette grande colonie pénitentiaire du Kazakhstan sur un rock tribal, mais il y a également plusieurs titres dans lesquels on ne sent pas la flamme qui habite habituellement le passionné qu’est Thiéfaine, dont les premiers morceaux : En remontant le fleuve, Angélus et Fenêtre sur désert.

 

Notons que le meilleur morceau de cet album, celui où l’on sent un Thiéfaine plus mordant est l’un des deux seuls qu’il a entièrement écrits et composés seul. Plusieurs des musiciens avec lesquels il travaille sur les autres morceaux pour la musique, dont Jeanne Cherhal, ne lèvent pas autant. Seraient-ils un peu intimidés d’avoir à apposer leurs séries d’accords sur les mots du légendaire poète français?

Ce 17e disque de la riche carrière de Thiéfaine, alors âgé de 66 ans au moment de sa sortie, décolle enfin en milieu d’opus. Le témoignage érotique Mytilène Island est mis en musique via un élégant quatuor à cordes, puis les confessions de Résilience zéro captivent au niveau des vers, mais sont rapidement abattues par un morceau rock des plus communs et un refrain guimauve. Dommage. Médiocratie est basé sur une bonne idée, celle de mélanger les concepts de démocratie, médias et médiocrité, mais la pauvreté du refrain et la répétition inutile tapent assez vite sur le système.

 

D’autres morceaux sont plus solides, sans être extraordinaires. Amour désaffecté raconte “la fin maintenant d’une histoire qui tombe en poussières, d’un amour sinistre et désert” sous forme de rock entraînant et, ma foi, presque joyeux. “Inutile de nous retourner sur le mal caché qui nous ronge” lance-t-il, sans tristesse dans la voix, comme s’il lançait au monde entier le simple constat des choses.

 

“Stratégie de l’Inespoir” arrive à un moment unique dans la carrière de Thiéfaine. Malgré des débuts flamboyants en 1978, et de solides albums au début des années 80 notamment lors de sa collaboration créative avec le guitariste Mairet, ce n’est qu’en 2011 que la reconnaissance du grand public se fait sentir. « Suppléments de mensonge » devient disque platine, puis il remporte le Prix Victoire du meilleur interprète masculin en 2012. Théifaine tourne en France (et joue pour une rare fois à Montréal, au Gésù) renouvelant sa base de fans et ramenant ses inconditionnels. Ce regain d’intérêt arrive également à un moment clé de sa vie personnelle: le sexagénaire se relevait d’une dépression marquante.

 

Hubert Félix Thiéfaine est l’un des joyaux de la chanson francophone, pour la qualité de son langage, pour sa créativité et son originalité des premiers albums. Une des plumes majeures des 40 dernières années, aux côtés de Jean-Louis Murat (qui a éclot beaucoup plus tard) et Alain Bashung (qui n’écrivait pas ses textes). Il a été le “Bowie français” à bien des égards, sans le lot de gloire.

« Stratégie de l’inespoir » n’est malheureusement pas un grand disque de la grande carrière de Thiéfaine, mais on applaudira encore plus fort son retour en force.

HUBERT FÉLIX THIÉFAINE strategie de l'inespoir

HUBERT-FÉLIX THIÉFAINE
Stratégie de l’inespoir
(Sony France, 2014)

-Genre: rock franco
-Recommandé si vous aimez Murat, Bashung, Léo Ferré, Rimbaud

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* (merci aux achats recommandés de l’algorithme d’Amazon, sans quoi je ne l’aurais jamais écouté!)

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Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.