Il y a 4 ans aujourd’hui, j’apprenais une nouvelle que je redoutais depuis plusieurs années déjà. Lou Reed mourait. Il avait 71 ans. Il semblerait que ce soit des séquelles d’une transplantation du foie effectuée le 1er juin précédent qui ait causé son décès, annoncé le 27 octobre 2013… Sa santé était dans un sale état depuis quelque temps.

C’était l’un de mes musiciens préférés. L’un des rares créateurs de musique à penser son œuvre comme un grand roman, dont chaque album était un chapitre. « My Great American Novel » disait-il en parlant de ses disques.

Plusieurs vous raconteront son histoire, de ses débuts tonitruants au sein du Velvet Underground au milieu des années 60, jusqu’à sa collaboration avec Metallica il y a 2 ans, en passant par les nombreux chefs d’œuvres que sont Walk on The Wild Side, Perfect Day, Dirty Boulevard, Sweet Jane, Rock & Roll (pour les plus connues). Les vrais fans de Reed vous nommeront plutôt Venus In Furs, Heroin, Beginning To See The Light, Berlin, Coney Island Baby, All Tomorrow’s Parties, Romeo Had Juliett, Smalltown, Goodby Mass

Plusieurs, comme moi, vous diront qu’ils étaient les plus grands fans de Lou Reed, parce qu’il faisait cet effet aux mélomanes. Lorsqu’on découvrait Lou Reed, on avait l’impression de passer à un autre niveau. On avait l’impression d’écouter un maître.

Retour sur cet article que je publiais le 28 octobre 2013, où je livrais, à chaud, 10 impressions sur ce grand musicien.

1.    Il a fait de grands albums

La liste est longue. Elle n’est pas la même pour tout le monde.

Bien sûr, il y a les quatre albums du Velvet, tous essentiels et indispensables pour quiconque aime la culture du rock. Mon préféré, l’éponyme de 1968 parce qu’il contient les chansons les plus touchantes de Reed : Candy Says et Pale Blue Eyes et les plus énergiques du Velvet : Beginning To See The Light, What Goes On et quelques belles expérimentations.

Bien sûr, il y a le grand « Transformer » de 1972, qui a bénéficié d’un coup de pouce de David Bowie à la réalisation. On y trouve les classiques Walk On The Wild Side, Perfect Day, Satellite of Love, Vicious et Andy’s Chest (j’ai nommé la moitié de l’album) et « New York », l’album de la résurrection artistique, en 1989, après quelques années de galère musicale.

 

Mes préférés, le touchant « Magic and Loss » qui évoque le décès de deux amis proches, « Legendary Hearts » dont le groove et la poésie de fin de nuit blanche m’enivrent et surtout « Songs For Drella », l’album hommage à Andy Warhol réalisé avec son ancien complice John Cale, en 1990. Pour honorer un grand artiste, il fallait une grande œuvre d’art.

 

2.    Il pouvait être très désagréable

La grande majorité des journalistes qui l’ont rencontré ont dit de Lou Reed qu’il a été l’un des artistes les plus difficiles à interviewer.

C’est la version polie de dire qu’il a souvent été un « trou de … » avec ceux et celles qui avaient le malheur de lui poser des questions insipides. C’est que, voyez-vous, monsieur Reed ne se prend pas pour une verte recrue (avec raison) et n’a pas de temps à perdre. Quelques messages sur Twitter évoquent cette relation difficile entre le créateur et les médias.

Mais lorsqu’on lui posait les bonnes questions, comme Charlie Rose le fait brillament dans le clip ci-dessous, Lou Reed pouvait se livrer et parler passionnément pendant des heures.

 

Il pouvait aussi être désagréable sur scène, envoyant littéralement promener certains spectateurs qui lui lançaient des demandes. On ne dit pas à Lou Reed quoi faire (ni quoi dire, ni quoi enregistrer d’ailleurs).

Lors de son concert « Magic and Loss » au St-Denis en 1992, un spectateur lance :
–    Lou, talk to us!, se plaignant que Reed enchaîne les chansons
–    I’ve been talking to you all night!

C’est vrai, ses chansons sont plutôt pleines de mots. Plus tard, un autre lui crie :

–    Hey Lou, how’s life?
–    Hopefully not like you, répond le chanteur du tac au tac.

Ouch.

Lou Reed n’a jamais craint affronter les journalistes qui ne se concentraient pas sur son travail ou qui posaient des questions stupides. Voyez plutôt.

 

 

3.    Il a tout essayé (musicalement, sexuellement, chimiquement)

Dès le Velvet, il ose. Chanter des hymnes à la drogue dure en 1966 (Heroin) alors que les Beatles sont encore à Yesterday, il faut le faire. Les personnages de ses chansons sont des transsexuels (Walk on The Wild Side – le seul hit de l’histoire à parler d’eux), des malheureux de leur sort (Harry’s Circumcision), des junkies maman (The Kids), des immigrés qui en arrachent (Romeo Had Juleitte), des politiciens véreux (Strawman)…

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Dans sa vie personnelle, il subira jeune des traitements aux électrochocs pour « guérir son homosexualité », il fréquentera une transsexuelle du nom de Rachel pendant plusieurs années avant de se marier (avec une femme, Sylvia) dans les années 80 puis de vivre avec la musicienne canadienne Laurie Anderson, sa dernière compagne. On a souvent traitée d’ambigüe sa relation avec David Bowie et Iggy Pop.

Le trio infernal, vers 1972

Musicalement, il aura fait du rock, mais aussi de la musique hautement expérimentale (le fameux Metal Machine Music – intolérable bruit pour certains, prise de position artistique pour d’autres), ambiante (son dernier, Hudson River Meditation) qui inspirera des centaines de musiciens, voire des mouvements entiers de musique rock, de Sonic Youth à Patti Smith.

On a souvent dit que Lou Reed (tout comme Keith Richards) aurait dû mourir des centaines de fois étant donné sa vie désordonnée, dictée par les abus de toutes sortes. Lou Reed a déjà avoir essayé de combattre son goût de l’héroïne par l’abus d’alcool. Ça n’a pas vraiment fonctionné. Dans les dernières années de sa vie, il s’était intensément mis au taï-chi.

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4.    Il a été vache avec son mentor

Le peintre et cinéaste Andy Warhol a été l’un des premiers à croire en Lou Reed. Il a décidé de « produire » le premier opus du Velvet Underground (la fameuse banane) et de les mettre sur la carte, du moins dans la scène avant-gardiste new-yorkaise de la fin des années 60.

lou reed andy warhol

Warhol et Reed

Warhol organise tout : les relations, les événements, la rencontre avec la chanteuse et mannequin Nico et fait connaître l’univers des marginaux de New York à Reed qui s’en inspirera toute sa carrière.

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Reed et Nico

Lou Reed rejettera Warhol quelques années plus tard et le regrettera. Ce n’est qu’avec l’hommage « Songs For Drella » qu’il fera une belle fleur à son mentor, lui témoignant de façon posthume tout l’amour et l’admiration qu’il avait pour l’homme et l’ami qu’était Andy.

 

 

5.    Son groupe est l’un des plus importants de l’histoire du rock

La légende veut que le premier album du Velvet Underground n’ait été acheté que par une centaine de personne, mais que chacun d’eux ait fondé un groupe rock par la suite. C’est une image, bien sûr, mais l’approche simple du Velvet permettait à chacun, même avec des compétences limitées en musique, d’imaginer pouvoir créer.

 

 

La musique punk, new wave, expérimentale et actuelle lui doit beaucoup.

Sur Twitter, le jour de sa mort, les témoignages pleuvaient.

 

6.    Il a influencé le monde du rock

Au niveau des paroles, plusieurs le placent au même niveau que Bob Dylan. Ses textes sont toujours soignés, précis, riches. Lou Reed est un poète pour qui chaque mot est important, pour qui chaque chanson doit transmettre quelque chose.

Ses amis David Bowie et Iggy Pop lui doivent beaucoup, et ils le savent.

 

 

7.    Il est le poète de New York

Lou Reed personnifiait New York. Ses mots transpiraient les rues de la ville. Ses expressions, son langage, son rythme, son humour grinçant et ses remarques assassines ne pouvaient qu’être new-yorkaises. Plusieurs ont même dit qu’il avait emprunté sa façon de chanter des premiers rappeurs, entendus sur les coins de rues. On pouvait vivre avec lui de ce qu’était la vraie réalité de vivre à New York. Plusieurs concitoyens l’ont pleuré aujourd’hui. Il était le New-Yorkais ultime.

 

 

 

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8.    Ses concerts sont des événements

Lou Reed n’a jamais été reconnu pour ses talents techniques de guitariste ni de chanteur. Il a pourtant toujours été très minutieux avec son art, peaufinant le son et la distorsion émanant de sa guitare.

Avec le Velvet, il se plait à changer les couplets et refrains de ses chansons, à les réinventer. Il existe plusieurs versions de son classique Sweet Jane – chose étonnante dans l’histoire du rock.

En solo, ses concerts des années 70 deviennent de longs monologues dans lesquels il improvise, s’énerve, engueule le public qui l’acclame ou le hue. Il refuse parfois de jouer ses classiques, las d’entendre une partie de son public n’écouter que ce qu’il connait.

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Le dernier concert montréalais de Reed s’est déroulé au Festival International de Jazz en 2010. Il jouait en compagnie de son épouse violoniste Laurie Anderson et du saxophoniste d’avant-garde John Zorn. Les choses ont vite mal viré lorsque le trio s’est mis à improviser de façon bruyante et désordonnée! Une partie de la salle Wilfrid-Pelletier a copieusement hué la performance alors que l’autre tentait d’avoir l’air cool en applaudissant trop cette musique bâclée. Zorn a dû envoyer paître certains spectateurs qui les insultaient de ne pas jouer de la musique… Bref, la zizanie comme je ne l’ai jamais vécu avant ni après!

 

9.    Il a le sens de la formule

Arrogant, Lou Reed a aussi lancé de très bonnes phrases qui ont clos le bec de ses interlocuteurs (la verve new-yorkaise, encore une fois). En voici quelques-unes particulièrement savoureuses, que les fans de Reed se sont fait un devoir de retransmettre sur Twitter le jour de son décès.

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10.    Avec lui, on était ailleurs

Lou Reed a créé une œuvre impressionnante. Le type de carrière qui marque les auditeurs qui s’en sont approchés. Lorsqu’on plonge dans l’univers de Reed et du Velvet, on se rend compte de la force de ses textes et musiques et le grand art qui l’enrobe. On réalise encore plus la distance entre le rock noble et la pop commerciale. Avec Lou Reed, on a l’impression de découvrir un auteur plus qu’un rockeur. Il a été une influence majeure pour beaucoup.

Plusieurs ont eu l’impression de vivre une relation personnelle avec lui.

Lou Reed était une voix. Et il s’est éteint aujourd’hui, 27 octobre 2013. Un créateur d’exception n’est plus. Espérons que le modèle lui survivra. Son œuvre, elle, est immense et prendra une éternité à (re)découvrir et apprécier. RIP Lou, et merci pour toute cette musique.

 

 

 

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Mélomane invétéré plongeant dans tous les genres et époques, Nicolas Pelletier a publié 6 000 critiques de disques et concerts depuis 1991, dont 1100 chez emoragei magazine et 600 sur enMusique.ca, dont il a également été le rédacteur en chef de 2009 à 2014. Il publie "Les perles rares et grands crus de la musique" en 2013, lance le site RREVERB en 2014, et devient stratège numérique des radios de Bell Média en 2015, participant au lancement de la marque iHeartRadio au Canada en 2016. Il dirige maintenant la stratégie numérique d'ICI Musique, la radio musicale de Radio-Canada.