Ce vendredi soir, l’Orchestre symphonique de McGill, avec ses 99 musiciens, envahissait la Maison symphonique pour nous présenter un chef-d’œuvre du XXe siècle, soit la Turangalîla-Symphonie du compositeur français Olivier Messiaen. D’une durée de 80 minutes, cette pièce monumentale et très originale a tenu en haleine les spectateurs qui s’étaient déplacés en grand nombre. Dirigé de main de maître par son directeur musical Alexis Hauser et avec pour solistes la pianiste Kyoko Hashimoto et l’ondiste Estelle Lemire, l’Orchestre a offert une performance inspirée.

Turangalîla-Symphonie a été commandée en 1945 par Serge Koussevitzky et l’Orchestre de Boston, qui a laissé une entière liberté à Messiaen en ce qui concerne la forme, la durée et le style de l’œuvre. Après plus de deux ans de composition, Messiaen est revenu avec près de 430 pages de partition! La forme de l’œuvre est finalement très atypique. Turangalîla-Symphonie compte dix mouvements et emploie quatre principaux thèmes cycliques qui reviennent tout au long de l’œuvre. Le style s’apparente par ailleurs à une symphonie concertante, puisque un piano agit à titre de soliste.

La pièce compte aussi un autre instrument soliste, mais celui-ci est beaucoup moins conventionnel. Messiaen a en effet ajouté au foisonnant effectif orchestral des ondes Martenot. Nommé d’après son fondateur, Maurice Martenot, cet instrument électronique de la famille des claviers a été conçu peu après la Première Guerre Mondiale. Ce serait d’ailleurs le premier instrument électronique jamais utilisé en concert. Il a un son mystérieux et étrange, quelque peu semblable au thérémine (inventé à la même époque, d’ailleurs). En musique populaire, plusieurs artistes l’utiliseront, dont Jacques Brel sur Ne me quitte pas.

Messiaen voyait son œuvre comme étant « un cantique à l’amour, un hymne à la joie ». Il était en fait absorbé à cette époque dans l’histoire de Tristan et Iseult, mis en musique notamment par Wagner. Il réalisera une trilogie d’œuvres inspirées par les thèmes de l’amour romantique et de la mort. À l’écoute de la Turangalîla-Symphonie, on est plongé dans un monde merveilleux, surréaliste et onirique. L’œuvre est également fortement contrastée, alternant entre de joyeux tapages où éclatent de vigoureux tutti orchestraux, et des moments intimistes proches de la musique de chambre. Alexis Hauser, qui dirigeait de mémoire, a très bien géré ces contrastes et sa gestuelle expressive et directive menait à de tonitruants fortissimo. Les cuivres étaient cependant trop forts à l’occasion, ce qui noyait quelque peu le piano et les ondes, entre autres.

Par ailleurs, les couleurs et les textures orchestrales sont hautement variées. Messiaen n’hésite pas non plus à faire jouer seuls les différents groupes d’instruments de l’orchestre. Les vents avaient de nombreuses parties à jouer seuls, ce dont se sont magnifiquement bien acquittés ces instrumentistes, malgré quelques légères erreurs de coordination. À quelques moments dans la pièce, la dizaine de musiciens aux percussions (qui étaient très variées aussi) ont eu l’occasion de jouer seuls, ce qui est plutôt rare! L’exécution de rythmes souvent complexes a été faite avec aplomb. À plusieurs reprises, des superpositions d’effets musicaux complexes ont été très bien rendus.

Les instruments à clavier (piano, ondes, célesta, glockenspiel et vibraphone) ont été très sollicités, et les musiciens ont livré une superbe prestation. La pianiste a interprété sa difficile partition de brillante manière, elle qui a eu quatre cadences à jouer. On est loin ici du lyrisme romantique. Ce sont plutôt les sonorités percussives du piano qui sont exploitées. C’est justement ce qu’a fait la pianiste : elle a martelé sans relâche son instrument! Plus loin, la pianiste doit aussi imiter des chants d’oiseaux. L’ondiste a finalement apporté une contribution majeure, donnant à l’œuvre sa couleur particulière. Son jeu était presque parfait, tantôt dans les aiguës (et parfois les suraiguës!) et tantôt dans une registre plus grave, presque lyrique.

C’était donc une très belle opportunité qu’a eu l’Orchestre symphonique de McGill de présenter cette œuvre à la Maison symphonique. L’acoustique exceptionnelle de la salle a sans aucun doute permis une meilleure appréciation de la complexe orchestration qu’a réalisé Olivier Messiaen. Passionnée et intense, la performance de l’Orchestre a été vraiment inspirante et revigorante.

En terminant, notons que ce concert était présenté en collaboration avec Montréal en lumière, dans le cadre du Festival Montréal/Nouvelles Musiques de la Société de musique contemporaine du Québec, qui se poursuit jusqu’au 7 mars. Une foule de concerts auront lieu d’ici à cette date. La programmation peut être consultée en suivant ce lien.

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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.