Le prodige Jan Lisiecki (il a joué avec un orchestre symphonique pour la première fois à l’âge de 9 ans!) donnait vendredi soir, à la Salle Pollack, le deuxième de deux concerts au Festival de musique de chambre de Montréal. Le jeune homme de 22 ans a une fois de plus fait preuve de son grand talent, dans un programme qui alliait Chopin, son compositeur fétiche, à Beethoven, le compositeur qui est à l’honneur de cette 22e édition du Festival, dont le thème, « Passion romantique », est parfaitement incarné par ces deux compositeurs.

Le concert débutait avec la Fantaisie en sol mineur de Beethoven, composée en 1809. Écrite vers la fin de sa période dite « héroïque », cette œuvre a un caractère improvisé, mais tout de même homogène et surtout grandiose. On reconnaît là tout le génie de Beethoven, dans une pièce inspirée et franchement superbe. Les moments calmes et méditatifs alternent avec des passages fougueux et flamboyants. Lisiecki rend bien toutes ces variations d’intensité et ces nuances. La touche est belle, le doigté est presque parfait.

Le pianiste canadien interprétait ensuite trois pièces pour piano seul de Chopin, qui est certainement son compositeur de prédilection, lui qui a enregistré (pour la prestigieuse maison de disque Deutsche Grammophon) plusieurs de ses œuvres concertantes et pour piano seul, dont les Études. Hier soir, Lisiecki s’attaquait à deux nocturnes et au Scherzo no. 1. Cette dernière pièce a été achevée en 1832, par un Chopin tout juste âgé de 22 ans. Vaste et magnifique, cette œuvre tout en nuances, au finale orageux, a été rendu de brillante manière par Lisiecki. Les monstrueuses difficultés techniques ont été surmontées avec brio par le pianiste.

Composés en 1841, les deux Nocturnes de l’opus 48, les Nos. 13 et 14, sont certainement deux des plus belles compositions pour piano, et deux des meilleurs moments du piano romantique. Le Nocturne no. 13, en particulier, est déchirant, avec un thème principal dramatique. Les tourments et la douleur du compositeur sont palpables dans les quelques sept minutes que dure la pièce. Tel un poète, Lisiecki dépeint ces émotions avec grâce et subtilité, sans jamais forcer la note ou accentuer ce qui doit être retenu ou suggéré. Plus mélancolique que douloureux, le Nocturne no. 14 n’en est pas moins sublime. Lisiecki interprète l’œuvre avec la finesse et l’agilité nécessaires. Il laisse respirer les notes et nous offre des moments de grâce.

En deuxième partie du concert, Jan Lisiecki a été rejoint par cinq instrumentistes : Dennis Kim et Blake Pouliot aux violons, Barry Shiffman à l’alto, Cameron Crozman au violoncelle et Eric Chappell à la contrebasse. Les six instrumentistes nous offraient une rareté, soit un arrangement pour piano et quintette à cordes du Concerto pour piano no. 4 de Beethoven. Le compositeur allemand Vinzenz Lachner a réalisé l’arrangement de l’œuvre composée en 1806.

Dans sa forme réduite telle que présentée hier, ce chef-d’œuvre du répertoire concertant devient beaucoup plus mince, perdant la richesse et la profondeur de l’orchestration de Beethoven. On ne saurait toutefois cacher notre bonheur d’entendre cette somptueuse pièce dans un format de musique de chambre qui conserve tout de même bien l’essence de l’œuvre, en plus de nous offrir une chaleur et des moments d’intimité que le Concerto ne permet pas. La partition pour piano est semblable à celle du Concerto, et Lisiecki la joue avec beaucoup d’aplomb et de justesse. Lisiecki déploie autant d’énergie et de passion que si le Concerto était joué avec un orchestre : sa touche est superbe et ses cadences sont formidables. Le quintette qui l’accompagne excelle également dans son interprétation, livrant une superbe performance. Les instrumentistes relèvent bien ce défi de jouer un arrangement peu commun d’une pièce très populaire. La coordination est aussi au rendez-vous.

Après la conclusion du Concerto, Jan Lisiecki a filé vers l’aéroport, alors qu’il devait s’envoler peu après 23h pour l’Europe. Le jeune pianiste canadien est un des nombreux artistes d’envergure internationale à se produire au Festival de musique de chambre de Montréal. Le fondateur et directeur artistique du Festival, Denis Brott, a toutefois émis un signal d’alarme dans son allocution d’ouverture du concert. Les subventions gouvernementales ont beaucoup diminué ces dernières années. La 22e édition a également été marquée par une baisse d’assistance significative, ce qu’on a pu remarquer lors de nos visites cette année. Espérons que tout cela ne soit que temporaire, car le Festival de musique de chambre offre de merveilleux moments chaque année, avec une programmation riche et variée, comprenant autant de la musique classique que du jazz. La 22e édition du Festival prend d’ailleurs fin ce dimanche.

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Curieux de nature, Benoit est un boulimique musical qui consomme de presque tous les genres. Du punk au classique, en passant par le folk, le psychédélique et le rockabilly, il sait apprécier les subtilités propres à chacun de ces courants musicaux. À travers des centaines d'heures d'écoute et de lecture de biographies, il tente de découvrir les motivations et les secrets derrière les plus grands albums et les œuvres grandioses des derniers siècles. Il parcourt aussi les salles de spectacle de Montréal, à la recherche de vibrations directes.