“Pirates Choice” est un disque magnifique pour sa musique, mais d’abord étonnant, pour le genre de musique qu’on y entend, et ce, en 1982! La musique sénégalaise est généralement typique de son héritage culturel centenaire et menée par des générations de griots. On y entend beaucoup de kora, et ses grands noms s’appellent Youssou N’Dour, Touré Kunda ou Baaba Maal. Mais voilà que l’Orchestra Baobab débarque avec un disque double – déjà! – de musique cubaine! Comment l’influence des grands de La Havane s’est-elle rendue à Dakar aux oreilles de ces musiciens, au début des années 80, alors que l’île de Cuba était déjà isolée du reste du monde est un mystère! Mais il est indéniable dès les premières notes que le chanteur wolof Laye M’Boup, le saxophoniste mandingue Issa Cissoko (un élève de Dexter Johnson), le guitariste togolais Barthelemy Attisso et les chanteurs Balla Sidibe (de la région de la Cassamance, tout au Sud du pays), Rudolphe Gomis (de Guinée-Bissau) et Mapenda Seck ont écouté des disques cubains pour y reproduire ce style élégant, un brin confortablement paresseux (j’aurais dit “laid-back” en anglais), tout en rythmes entraînants mais jamais brusques. On est confortablement bercés par les rythmes latins (oui! latins!) dès que l’aiguille de la table tournante se pose sur le premier vinyle et diffuse les premiers sons de Utru Horas. On raconte que la musique cubaine régnait dans les discothèques du Sénégal dans les années 1940, et que ce n’est qu’après les révolutions culturelles en Guinée et au Mali que les musiciens africains se réapproprièrent leurs musiques traditionnelles, laissant de côté les influences extérieures. Sur Coumba, la chanson suivante, c’est en français que la complainte des chanteurs s’exprime. On y pleure un amour difficile, bourré d’incompréhensions, un air qui se rapproche de la mélancolie des derniers disques d’Henri Salvador. Chacune des faces de ce disque ne contient que trois pièces, s’étirant généreusement passé la marque des sept ou huit minutes chacune. Werente Serigne est basée sur un dialogue constant entre la guitare électrique d’Attisso et le saxophone de Cissoko, ce qui confère un aspect plus jazz au disque. La pièce se transforme ensuite en long jazz où les percussions de Mountaga Koukate prennent plus de place. Sur la ballade Soldadi, on ressent la même émotion que chez la grande chanteuse cap-verdienne Cesaria Evora. Les harmonies vocales entre Gomis et Sidibe sont touchantes, exprimées dans un mélange de wolof et d’espagnol. La section rythmique de Papa Ba, Adama Sarr aux guitares et Charly N’Diaye à la basse berce doucement l’auditeur, et donne toute la place aux solos de guitare électrique et saxophone qui suivent. Enregistré en 1982 à Dakar, ce disque sublime faisait entrer l’Orchestra Baobab dans la légende, qui perdure encore aujourd’hui. La formation était déjà très connue au Sénégal durant les années 70, mais “Pirates Choice” leur assure une place parmi les grands disques africains (ou devrait-on le classer parmi les disques “cubains”?) qui se sont fait remarqué pour leur qualité et leur originalité. L’album double paru d’abord sur cassette en 1982, mais seulement les six premiers morceaux se rendirent sur le vinyle distribué en France. Il fallu attendre la réédition sur CD par World Circuit en 1989 pour que les douze morceaux furent réunis. Le magnifique vinyle double relancé en 2001 est un “remaster” basé sur les bandes originales. C’est plutôt rare que j’achète des disques vinyles neufs (et celui-là n’était pas donné) mais je ne regrette absolument pas mon choix. Je trouvai “Pirates Choice” en vinyle durant l’été 2017. Un grand cru! ORCHESTRA BAOBAB Pirates Choice (World Circuit, 1982) -Genre: world / cubain -Dans le même genre que le Buena Vista Social Club, Cesaria Evora, Ali Farka Touré Achat via Discogs Lien vers la page Facebook du groupe Lien vers la chaîne YouTube du label Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments