Une première mondiale à la SALLE BOURGIE Benoit Bergeron 2014/10/23 Concerts, Genres Une première mondiale avait lieu hier soir à la Salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM). On a pu y entendre pour la première fois une œuvre du compositeur québécois Julien Bilodeau (qui apparaît dans la photo ci-haut) s’inspirant du tableau L’heure mauve, peint en 1921 par le Québécois Ozias Leduc et que l’on retrouve dans la collection permanente du MBAM. Les pianistes Brigitte Poulin et Jean Marchand interprétaient aussi des pièces pour deux pianos et piano à quatre mains des compositeurs Claude Debussy, Abel Decaux et Igor Stravinski. Commandée par la Fondation Arte Musica, l’œuvre de Julien Bilodeau est intitulée Élégie pour deux pianos d’après L’heure mauve d’Ozias Leduc. « Parcours contemplatif et poétique de l’œuvre peinte » (selon les mots du compositeur né en 1974), cette Élégie est somme toute une belle représentation en musique de la toile d’Ozias Leduc. Une bonne partie de la pièce se passe dans les registres graves des instruments. À plusieurs reprises durant les 18 minutes que dure l’œuvre, un des deux pianos y va de passages lyriques qui sont d’une beauté ravissante. On aurait cependant voulu plus de moments mélodiques : trop souvent la composition semble quelque peu stagnante, à méditer sur les graves. Mais les dernières minutes renversent ce qu’on avait entendu jusqu’à présent, alors que les deux pianos nous livrent une finale agitée qui se joue principalement dans les aigus. Intenses et très concentrés, les deux pianistes ont livré une très bonne performance de l’œuvre, ce qui n’est pas toujours facile dans le cas d’une composition qui n’a ni été gravée sur disque ni même jouée en public! L’heure mauve, par Ozias Leduc De Claude Debussy, on avait droit à la composition pour deux pianos En blanc et noir. Terminée en 1915, alors que faisait rage la Guerre qui a réveillée le patriote français en lui, cette œuvre est une des dernières merveilles de Debussy avant sa mort, en 1918. L’œuvre est divisée en trois parties, la première étant intitulée Avec emportement. Très énergique, cette pièce est tout en contrastes, avec de grands élans de virtuosité fort bien maîtrisés par nos deux pianistes. Dédiée à un soldat mort sur le front, la seconde partie, Lent-Sombre, est magnifiquement expressive. Le début est d’une lenteur méditative à faire frémir, puis le jeu s’anime et évoque une bataille contre l’ennemi allemand, avant de retomber dans une sombre mélancolie. L’interprétation est magnifique et transmet bien l’expressivité de l’œuvre. Dédiée à Stravinski, la troisième pièce se nomme Scherzando et semble presque improvisée. Elle n’en est pas moins très mélodique et jouée avec aplomb par les deux pianistes. Le Russe Igor Stravinski a composé le ballet Petrouchka en 1911, puis a lui-même fait, en 1921, une transcription en trois mouvements pour piano, commandée par le célèbre pianiste Arthur Rubinstein. Brigitte Poulin et Jean Marchand en interprétaient un arrangement pour deux pianos. Une virtuosité trépidante est à l’honneur dès les premiers instants du mouvement initial. Les sonorités percussives du piano sont mises en évidence par le jeu éblouissant des deux pianistes. La deuxième partie est intitulée Chez Petrouchka et a un tempo légèrement plus lent, mais est également exigeante. La semaine grasse conclut l’œuvre de brillante manière. Le jeu des deux pianistes est splendide, très lyrique, dansant et tout en virtuosité : un véritable tour de force! Brigitte Poulin et Jean Marchand Une œuvre du compositeur français méconnu Abel Decaux était également jouée au spectacle. Très moderne, Clairs de lune (à ne pas mélanger avec le célèbre Clair de lune de Debussy) regroupe quatre pièces composées entre 1900 et 1907. Les pièces étaient jouées au piano seul, les deux pianistes en jouant deux chacun. La première section est intitulée Minuit passe et rappelle justement une ambiance nocturne. La ruelle lui succède et est autant parlante que la première. La troisième pièce se nomme Le cimetière et a aussi une atmosphère nocturne et très sombre. La conclusion, La mer, est la plus agitée des quatre, mais également la plus mélodique. Le jeu des deux pianistes s’est bien adapté à chacune des sections d’une œuvre complexe et à la tonalité suspendue – annonçant par là Schoenberg. Très expressives, les quatre œuvres du concert montraient toutes des facettes différentes des possibilités du piano, de la virtuosité de Stravinski à la sombre expressivité atonale de Decaux, en passant par la force évocatrice de Debussy et les couleurs lyriques de Bilodeau. Brigitte Poulin et Jean Marchand ont fort bien rendu cette diversité, utilisant tous les registres de cet instrument aux possibilités infinies qu’est le piano. Il y avait aussi une belle complicité et une impeccable coordination entre les deux musiciens. Réagissez à cet article / Comment this article commentaires / comments